2012/01/19

La mort est l'illusion maximale

Remarques sur les observations faites par Salvatore Puleda* des conversations avec Silo[1]  concernant le phénomène de la mort, lors d'un séminaire au cours duquel il a participé à Mendoza, 1983.

Voici ce que me lança Negro par rapport au phénomène de la mort pendant les séminaires que j’eus à Mendoza. La causerie ne fut pas totalement différente. Nous avons commencé par un bout, puis un autre et ainsi de suite, mais je l’ai reconstruite plus ou moins ainsi :
Il dit qu’il y a un Double et que cela est considéré comme certain. Ce double registre tout ce qui se passe durant la vie comme si c’était une espèce de… lui le nomme “une copie carboneˮ ou photocopie du corps et tout ce qui lui arrive à chacun est inscrit là. Non seulement ceci, mais aussi que les caractéristiques avec lesquelles chacun naît sont là, gravées dans le Double. Parce que là surgit un problème assez sérieux, qui serait… en quels termes pourrions-nous parler de justice humaine si effectivement on ne connaît pas les conditions qui ont été données à une personne ?
Par exemple : une personne naît boiteuse ou aveugle, ou avec un développement intellectuel très faible ou très haut, quelqu’un naît dans une situation environnementale d’une certaine manière, un autre dans une situation totalement défavorable, un autre au milieu d’un champ. La chose est différente, n’est-ce pas ? La capacité de développement de chacun est différente et donc de quelle manière pouvons-nous juger une personne, où est la justice ? Ce sont des interrogations que vous vous êtes faites mille fois.
Il disait que ces caractéristiques dans lesquelles on vient au monde et l’enceinte dans laquelle chacun arrive, tout ceci est gravé dans le Double.
Il disait que chacun arrive avec une caractéristique déterminée que lui appelle “la Direction Mentaleˮ, qui pourrait être ce que les Grecs appelaient le “Daimôn qui est la force qui pousse une personne dans une direction ou une autre, qui va la mener de préférence dans une direction ou une autre. De plus, cette personne va se développer dans une enceinte déterminée, dans laquelle elle est, dans laquelle on nait et tout ceci donne la Direction Mentale qu’on lui donne (et nous pouvons parler ainsi) à la naissance. Toutes les choses qui vont lui arriver dans la vie, s’il a été dans une enceinte favorable ou un peu favorable etc., tout ceci est inscrit dans le Double.
Alors, s’il y a un jugement post-mortem, c’est un jugement très différent du jugement humain. Alors, tout ce qui lui a été donné au commencement, plus ce qu’il lui a été donné dans les interrelations avec l’enceinte plus ou moins favorable, ainsi que toutes les choses qui lui sont arrivées au cours de la vie vont s’inscrire là, comme une photocopie parfaite de ce qui est arrivé dans la vie, ça s’accumule là.
Alors je vous décris le panorama comme lui, me l’a présenté.
La Mort. Qu’est-ce que la Mort ?
Il me donna une définition que je me rappelle très précisément.
Il disait : “La Mort est l’illusion maximaleˮ.
Pourquoi est-ce ainsi ? La raison était celle-ci. Il disait : pendant la vie, on a des impulsions non seulement de la mémoire mais aussi de l’enceinte externe et alors on se situe aussi par rapport à l’enceinte externe, on répond aux choses qui sont dehors et on bouge vers elles.
Mais lorsqu’on meurt, ton corps n’a déjà plus la possibilité de répondre aux stimuli, de les sentir, de les capter, alors l’unique chose qui reste, c’est la mémoire, dans le Double. Dit dans notre langage, tu as la représentation mais pas de perception. Si tu n’as pas de perception, ce que tu as sont seulement tes souvenirs qui se sont organisés d’une certaine manière.
Alors, après la mort, mis à part que le sujet ne comprend pas, un sujet sans travail interne ne comprend pas qu’il est mort, donc la relation avec le milieu est coupée et lui surgissent tous ses contenus, ses climats et, ces contenus et climats organisent un paysage, comme le paysage du rêve ou le paysage du transfert et il se meut dans ces paysages, croyant qu’ils sont réels. Donc l’approximation que je peux avoir de ce phénomène est le transfert ou le rêve. Dans le rêve, je suis dans un paysage que j’ai moi-même construit, mais je ne sais pas que c’est moi qui l’ai construit.
Si le sujet ne se rend pas compte, n’a pas d’autre référence, il est comme dans un rêve. Il est dans son paysage mais il ne se rend pas compte qu’il le construit lui-même et automatiquement les paysages qu’il construit vont avoir un argument, un développement jusqu’à parvenir à un point où se donne la contradiction.
Je me demande : À ce point, le sujet est-il vivant ou mort ? Qui est celui qui perçoit ? C’est un bazar. Qui est celui qui me voit ?
Ainsi nous émettons une hypothèse, qui est que le Double existe, parce que si nous pensons que seul le corps existe, alors nous avons un autre bazar.
Le Double travaille avec sa mémoire.
La connexion entre la mémoire, le Double et le corps, ceci je ne sais pas comment ça fonctionne.
Continuons de supposer que le Double existe, la question suivante est : Comment le Double agit-il sur le corps ?
Ceci je ne l’ai pas clair. Je ne sais pas non plus à quel moment commence le phénomène, je transmets ce qu’il m’a dit.
Nous en étions là, le sujet était dans son paysage que lui-même construit sans le savoir et qui l’amène automatiquement à sa contradiction.
Après ça, quelques-uns de ces Doubles, ceux qui sont là-bas et que ne peuvent pas aller plus loin dans leur processus, se dissolvent, perdent de l’unité, le paysage qu’ils ont construit par la contradiction se dissout.
Et d’autres non, d’autres parviennent à un paysage comme c’est dans la majorité des religions, ils arrivent à un paysage et là-bas on pèse, on décide, les bonnes actions et les mauvaises actions.
Il disait que c’est ainsi, mais que ce n’est pas le lot commun que le Double arrive au jugement.
Je lui demande alors : S’il y a un jugement, il y a des juges. Qui juge ? Ces juges ont-ils une identité ? Ont-ils une réalité externe au rêve du sujet ? Ou sont-ils une projection du sujet lui-même lorsqu’il est arrivé à un certain état ? Ça se comprend ?
Parce que dans la majorité des religions, il y a les juges des morts.
Lui disait que ce n’était pas très important, que ce n’est pas le point central.
Puis il dit : Et, après le jugement, on les envoie dans différents endroits qui correspondent plus ou moins à ce qui se dit dans les religions, à un point où on les dissout une autre fois. (C’est-à-dire qu’après le jugement, il peut se dissoudre, c’est-à-dire qu’il y a comme plusieurs check-up).
Et après il disait – et c’est peut-être le plus intéressant dans ce qu’il m’a dit : ceux qui ont passé le jugement favorable (pour ainsi dire) se trouvent face à l’anneau de l’expérience guidée “Le voyageˮ(2). C’est ce qu’il m’a dit explicitement. Et là, on passe véritablement à une chose complètement différente. Ce double qui a maintenu son unité, qui a pu passer à travers son rêve, qui a été jugé de façon favorable alors, là-bas, lui apparait un anneau. Il disait que c’était plus ou moins le paysage post-mortem et l’expérience du “voyageˮ exprimait exactement ce tunnel lumineux où vont les Doubles qui arrivent.
Quels sont les Doubles qui arrivent ? Ceci est très intéressant. Ceci dépend de ce que tu as fait avec cette Direction Mentale qui t’a été donnée au commencement. Qu’as-tu obtenu, qu’as-tu fait ? Étant donné les conditions que tu as eues.
Une autre chose qu’il m’a dite était en rapport avec la réincarnation. Il disait que seuls les Bodhisattvas se réincarnaient. C’est-à-dire cette personne très spéciale qui est arrivée à un certain niveau de compréhension et qui choisit par amour de l’humanité ou une autre raison de revenir. Il disait que c’était l’unique forme de réincarnation. Tout ne se réincarne pas.
Un autre point très, très important, bien que ce ne soit pas du paysage post mortem était comment l’Orient et l’Occident ont affronté le thème de la mort.
Il disait que les Occidentaux avaient pris la forme égyptienne de conserver les corps ou cette forme que prirent plus tard le judaïsme et le christianisme où resurgissait la chair. Alors il y a le problème du corps, et la momification sera une idée fondamentale de l’Occident qui l’amène à une certaine matérialisation matérialité de la civilisation.
En Orient, l’idée est complètement différente, c’est une vallée de larmes où cette roue monstrueuse, terrible, te fait toujours te réincarner et te réincarner et te réincarner et tu dois passer 10000 vies, d’abord un asticot, puis un papillon etc. jusqu’à parvenir à être Brahman. L’idée fondamentale est que ceci disparaisse de là et ça produit deux tréfonds mentaux très différents, qui donnent direction à un type de civilisation.
Là-bas, il est souhaitable de s’en aller et, ici, de conserver le corps. Autre chose qui me reste de ce qu’il me dit : le concept de purgatoire n’était pas une idée si stupide. Lorsque l’on donne un jugement, on donne aussi un temps pour qu’il puisse recomposer ses contradictions et alors, certains sont jugés et… Et aux autres on leur laisse un temps qui correspondrait avec le mythe du purgatoire, où il peut y avoir une interaction avec les vivants. Interaction mentale. Les vivants peuvent l’aider à faire ce qu’il doit faire (c’est comme ça qu’on explique les prières pour les morts et ces choses). C’est ainsi qu’il décrivait le paysage.
De tout ça se détache une idée très utile qui est que peu importe à quel moment de la vie on meurt, ni dans quelles conditions on naît. C’est la chose la plus exceptionnelle et la plus importante. Il y a une véritable justice, qui n’est pas la justice humaine ! Il n’y a pas de désavantage, c’est une justice que nous ne comprenons pas très bien.
L’autre idée que l’on peut ressortir de cette conversation qui est très utile, qui aide dans tout ce thème des transferts et de l’action valable.
Ceci me pousse à sortir de mes contradictions, car ce sont les mêmes que je rencontrerai, à la différence qu’ici je peux opérer et, là-bas non.
Par rapport à la Direction Mentale, il disait que tous ne partent pas ou ne viennent pas avec la même. (Cette Direction Mentale c’est … la Dot).
Ce n’est pas un prédéterminisme, c’est un regard. Avec tout ce qui t’a été donné, qu’as-tu fait ? On te mesure selon ce que l’on t’a donné et ceci est la justice.
Il disait littéralement : Tout ceci, tant la direction mentale qui t’a été donnée que les conditions, les choses qui te sont arrivées pendant ta vie sont inscrites dans le Double, malgré ça on ne peut comparer et, c’est pour ça qu’il n’existe pas de justice humaine. Alors la difficulté est énorme, l’énorme humilité que nous devrions avoir pour juger la vie des autres. C’est très difficile de juger.
Par conséquence, la justice est relative, le jugement qu’ils te feront sera relatif. C’est un jugement personnalisé, pas selon le code.
Ce thème de la justice m’a enlevé plusieurs problématiques, je ne sais pour vous… mais pour moi, ça m’a beaucoup allégé, c’est pour ça que je vous le raconte.
Le reste, la mort comme illusion et comme création d’images d’un rêve, où se construisent des paysages en accord avec le climat que tu avais dans la vie, pour moi, sans m’effrayer, ça m’a généré l’envie de travailler parce que de toutes façons, que je le veuille ou non, ce que j’ai va apparaitre. Cela me donne de l’entrain pour travailler. Je peux me cacher comme l’autruche mais de toutes manières ce que tu as va t’apparaitre, ainsi mieux vaut le travailler. C’est meilleur que tu parviennes à une unité parce que, même si tu fais l’autruche, ça va t’apparaitre de toute façon.
C’est ce que je crois utile… le reste sont des anecdotes que je ne comprends pas. C’est tout.

-------------------------------------------------------------
[1] Mario Luis Rodríguez Cobos (www.silo.net)
[2] « …J'avance parmi des murs transparents qui produisent des changements de couleur musicaux quand on les traverse.
J'avance encore jusqu'à parvenir à une surface plane au centre de laquelle je vois un grand objet mobile, impossible à cerner du regard, car quelle que soit la direction suivie à sa surface, celle-ci finit par s'enrouler à l'intérieur du corps. Ça me donne des vertiges; je détourne le regard.
Je rencontre une silhouette apparemment humaine. Je ne peux voir son visage. Elle me tend une main dans laquelle je vois une sphère rayonnante. Je commence à m'approcher et, en un acte de complète acceptation, je prends la sphère et la pose sur mon front. (*)…”.
--------------------------------
-----------------------------------------------------------------------

Salvatore  Puledda

La recherche fut le fil conducteur de la vie de Salvatore Puledda. Scientifique, penseur et écrivain, il investigua dans les domaines de la science, de la philosophie, de la mythologie, de l'histoire et de la politique en quête de ce qu'était l'être humain, ses origines et son destin, son processus et ses aspirations, ses conquêtes et ses possibilités évolutives.

Chercheur à l'Institut Supérieur de la Santé à Rome, il travailla sur la pollution atmosphérique jusqu'à son décès en 2001.

Au cours des 10 dernières années de sa vie, il a donné de nombreuses conférences sur les courants actuels de l'Humanisme. Mikhaïl Gorbatchev, dans le prologue qu'il écrit à l'édition de 1994 des œuvres complètes de Salvatore Puledda - regroupées sous le titre "Un humaniste contemporain" - définit l'ouvrage ainsi : « Il s'agit de la recherche d'un chemin de développement qui réponde aux nécessités essentielles de l'être humain. Il s'agit également d'une contribution au dépassement spirituel de la crise de civilisation actuelle. »

Bibliographie :
aux Éditions Références
Interprétations de l'humanisme
Le Rapport Tokarev

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Ajouter votre commentaire