2013/02/15

L'accès aux niveaux profonds


(Extraits de Silo: Psychologie IV)

La substitution du moi par une force, un esprit, un dieu ou la personnalité d'un envoûteur ou d'un hypnotiseur fut chose courante dans l'histoire. Le fait de suspendre le moi en évitant toute substitution, est également bien connu, quoique moins courant, notamment dans un certain type de yoga et dans quelques pratiques mystiques avancées. Cela dit, si quelqu'un pouvait suspendre et ensuite faire disparaître le moi, il perdrait tout contrôle structurel de la temporalité et de la spacialité de ses processus mentaux. Il se retrouverait dans une situation antérieure à celle de l'apprentissage de ses premiers pas dans la petite enfance. Ses mécanismes de conscience ne seraient plus en communication ni coordonnés. Il ne pourrait faire appel à sa mémoire. Il ne pourrait se mettre en relation avec le monde ni ne pourrait avancer dans son apprentissage. Nous ne serions pas simplement en présence d'un moi dissocié sous certains aspects, comme c'est le cas dans certains déréglements mentaux, mais nous serions face à quelqu'un dans un état semblable au sommeil végétatif. Par conséquent, ces sottises relatives à "la suppression du moi" ou à "la suppression de l'ego" ne sont pas possibles dans la vie quotidienne. Il est toutefois possible de parvenir à la situation mentale de suppression du moi, non pas dans la vie quotidienne mais dans des conditions déterminées qui partent de la suspension du moi.
L'entrée dans les états profonds se produit depuis la suspension du moi. Depuis cette suspension, des registres significatifs de "conscience lucide" et de compréhension de ses propres limitations mentales se produisent, ce qui constitue déjà une grande avancée. Dans ce passage, on doit tenir compte de certaines conditions incontournables :
1 – Que le pratiquant ait précisé clairement sa Finalité, ce qu’il désire obtenir comme objectif final de son travail.
2 – Qu'il dispose de d'énergie psychophysique en quantité suffisante pour maintenir son attention immergée en soi et concentrée sur la suspension du moi.
3 – Qu'il puisse continuer sans solution de continuité dans l'approfondissement de l'état de suspension jusqu'à ce que les références spatio-temporelles disparaissent.
La Finalité correspond à la direction de tout le processus mais sans que cela occupe tout le centre attentionnel. C’est à dire que la Finalité doit être gravée avec suffisamment de charge affective pour opérer de façon coprésente tandis que l'attention est occupée dans la suspension du moi et dans les pas suivants. Cette préparation conditionne tout le travail postérieur. Quant à l'énergie psychophysique nécessaire pour le maintien de l'attention dans un niveau intéressant de concentration, la principale impulsion provient de l'intérêt qui fait partie de la Finalité. Si l'on constate un manque de puissance ou de permanence, il faudra réviser la préparation qui a été faite de la Finalité. On a besoin d'une conscience débarrassée de fatigue et d’une éducation minimum à la concentration attentionnelle sur un seul objet. Continuer dans l'approfondissement de la suspension jusqu'à parvenir au registre de "vide" signifie que rien ne doit apparaître comme représentation, ni comme registre de sensations internes. Il ne peut, ni ne doit y avoir de registre de cette situation mentale. La position ou les incommodités du corps déclencheront des impulsions qui produiront le retour à la situation mentale de suspension ou à la veille habituelle.
On ne peut rien dire de ce "vide". La récupération des significations inspiratrices, des sens profonds qui sont au-delà des mécanismes et des configurations de conscience, est réalisée depuis le moi quand celui-ci reprend son travail normal de veille. Nous parlons de "traductions" d'impulsions profondes, impulsions qui arrivent à mon intracorps durant le sommeil profond, ou d'impulsions qui parviennent à ma conscience dans une sorte de perception différente de celles connues au moment du "retour" à la veille normale. Nous ne pouvons pas parler de ce monde parce que nous n'avons pas de registre durant l'élimination du moi ; nous disposons seulement des "réminiscences" de ce monde, ainsi que Platon nous le commente dans ses mythes.

2013/02/12

Presentation du livre "Le Regard du Sens"

"Ce livre relate l’expérience vécue avec le Chemin du Message de Silo. Il traite des expériences du sens desquelles je me suis approché en méditant les questions « Qui suis-je ? » et « Où vais-je ? » et en répondant presque chaque jour à ces deux questions. Il ne raconte pas seulement le contact avec le Sens mais aussi les luttes intérieures auxquelles j’ai été confronté en repérant mes contradictions et mes ressentiments.
Ces questions ont réveillé un regard intérieur. Mais ce regard ne me montrait pas ce que je voulais voir, cette bonne personne attentive et soucieuse des autres, appliquée à comprendre les problèmes du monde, de la psyché personnelle et collective. Non, il me montrait un type rempli d’énervement, de dégradations, la plupart du temps avec la tête prise par des banalités. Plus je m’y appliquais, plus apparaissaient des choses qui me dégoûtaient de moimême.
Parfois, alors que j’étais noyé dans un tourbillon de non-sens, surgissait une expérience totalisatrice et un amour plus grand qui me mettait en communication avec quelque chose d’immense qu’aucun mot ne saurait décrire. Cela m’encouragea : je devais apprendre à soutenir le regard intérieur, même si je n’aimais pas ce qu’il voyait.

Ce regard au début était implacable, peut-être déçu par la rencontre avec ce moi un peu inattendu. Mais était-ce cela, ce que je suis véritablement ? Lorsque la méditation me conduisait à un noeud de vie qui ne pouvait être dénoué, la question pour mon être et son sens restait empêtrée dans cette contradiction. J’eus l’intuition que derrière ces conflits, il y avait l’expérience de sens et chaque fois que je résolvais quelque chose, s’insinuait la paix que je recherchais. Cette intuition d’un sens, du soleil derrière le nuage noir, me donna une nouvelle énergie pour faire un effort de réconciliation. Il ne s’agissait pas du pardon comme une coutume culturelle ou comme une conduite morale exigée par la vie sociale, mais de la seule façon de reprendre contact avec ce quelque chose qui me remplissait complètement de paix, mais aussi de force et de joie. Ce regard qui porte un jugement et me jugeait s’adoucissait avec l’acceptation, la réconciliation et le rire. J’ai donc continué comme ça, en réveillant le regard intérieur, en calmant les bruits de la conscience et en étant attentif à ce que ce regard se reconnaisse lui-même.

L’irruption de l’expérience du sens me fit réviser mon point de vue sur le ressentiment et la culpabilité. Des années après, je réussis à mieux comprendre en étudiant la vengeance dans une causerie de Silo donnée au centre du travail de Grotte en Italie. 

Le regard sur mon ressentiment et la culpabilité changea beaucoup après avoir vécu une expérience transcendante, de celles durant lesquelles pour un instant, tout semble évident, on sait tout, quelque chose de si grand que ce que l’on peut en décrire n’est qu’un pâle souvenir. Ceci fit irruption alors que je m’interrogeais « qui suis-je ? » et la réponse fut : Je suis. Et ce « Je suis » me remplit de certitude et de communion.
Et je me suis dit : il n’est pas possible de sortir du ressentiment depuis le non-sens et si c’était quand même le cas, ce serait un chemin pénible et très long. De plus, il n’y a jamais eu aucune raison de dépasser la souffrance si dans le fond, je ne la ressens pas véritablement. Je ne suis pas sûr non plus qu’en dissolvant mes fautes je parvienne à un meilleur paysage. Mais si je m’arrête à l’expérience du sens, sachant que la mort n’est qu’une farce, une illusion de la conscience pour ce monde évolutif, ce que je dois faire pour dépasser le ressentiment est beaucoup plus facile.

Le problème est que cette expérience, nous ne l’avons pas, ou seulement une étincelle parfois. Alors essayons un truc. Faisons la supposition que la vie a un sens. Affirmons le sens de la vie, arrêtons-nous sur ce point de vue et tirons les conclusions existentielles de cette hypothèse. Sartre fit quelque chose de semblable mais à l’envers. Supposons, dit-il, que dieu n’existe pas et voyons quelles conclusions existentielles nous obtenons depuis cette affirmation. Ce truc m’est venu à l’idée pour communiquer ce qui m’arrivait, alors que j’expérimentai les pratiques et méditais sur les pas du Message de Silo.
Je découvris quelque chose de très simple. Aucun de mes problèmes, les ruptures amoureuses, les trahisons, les échecs, rien de cela n’a été responsable de ma perte de sens.

Ma vie n’avait pas de sens bien avant l’infortune qui m’a plongé dans le ressentiment. Elle n’avait pas de sens avant le conflit et bien entendu, elle n’en avait pas non plus après. Pourtant, je ressentais que si j’avais perdu le bonheur, c’était de la faute des personnes impliquées à ce moment-là et qu’elles m’avaient volé quelque chose de très important dans ma vie. Cette interprétation de ma souffrance est un mensonge, ou tout du moins une erreur. 
Personne ne m’a dépossédé de rien d’essentiel. Avant l’accident, je n’étais pas heureux, je n’avais pas de sens et je ne pouvais récriminer personne pour cela. Je pouvais les accuser de beaucoup de choses mais pas de m’avoir dérobé le sens de ma vie. Ce livre, de façon parfois poétique, essaie de nous approcher de cette compréhension. 

En allant plus loin, un des facteurs qui habituellement arrache le bonheur est la mort de personnes chères. Tous, un jour ou l’autre, sommes confrontés à cette Dame. La mort de quelqu’un de proche est une perte de l’amour, mais surtout c’est le choc frontal avec quelque chose d’insolite et d’incompréhensible qui est le fait de mourir. Ceci est le noeud existentiel et la racine de toute contradiction. Il est possible de s’approcher du coeur de cette question petit à petit, en enlevant chacune des fines couches qui l’occultent. Le livre tourne autour du sujet, comme dansant avec elle, je m’approche et lors d’un pas de danse, la mort s’évanouit et je me retrouve au centre de moi-même.

Mon intention est de tromper le lecteur, de lui faire croire qu’il est arrêté dans une hypothèse et, distrait, soudain, surgit en lui l’expérience du sens. La supposition initiale étant alors démontrée avec l’évidence irréfutable. Bien entendu, je n’arrive pas vraiment à cela mais cela m’aurait plu de pouvoir le faire.
Sur le chemin intérieur, les choses ne se produisent pas comme on le suppose. J’espérais pouvoir formuler le sens en une phrase révélatrice pour orienter la vie. Et bien ce n’est pas
comme ça. Ainsi, chaque fois que je frôle une de ces expériences, les mots utilisés pour l’exprimer s’enflent comme un ballon et se couvrent de l’orgueil de croire que je dis effectivement ce qui m’est arrivé. Il me semble alors être en train de parler de vérités absolues. Avec le temps, les phrases perdent ette charge et s’éloignent du vécu qui leur a donné origine. Parfois, je me tiens fortement accroché à elles car j’ai peur de perdre l’essence qui les a attirées et plus je m’accroche, plus l’expérience s’éloigne ainsi que son souvenir.
Cet écrit, dans une certaine mesure, est une annonciation. Il secoue le lecteur et lui dit : hey l’ami, nous avons un problème ! Il se trouve que la vie a un sens ! Et ceci a des conséquences car alors, ce n’est pas la même chose que je fasse ou que je cesse de faire. S’il y a un sens et que je meurs sans le connaître, ce serait un grand gaspillage. 

Pour nous approcher du monde intérieur où habite l’expérience du Sens, nous avons besoin du regard intérieur. Ce regard est toujours dans la conscience, mais celle-ci est endormie ou confondue avec le moi. 
Quand ce regard commence à se réveiller, il trouve un monde intérieur rempli de contradictions et de peurs, et comme il ne supporte pas cette souffrance, il s’éloigne de lui, fuit cette intériorité, s’externalise et se réfugie dans le moi de tous les jours. 

Pour comprendre l’expérience transcendante, le regard s’internalise et se sépare du moi habituel. Ceci est possible principalement par l’accumulation de l’unité interne. Le regard fuit la douleur que produit la contradiction et c’est pour cela qu’il s’externalise, il se place dans les limites tactiles de l’espace de représentation et s’identifie avec le moi. En s’externalisant, il n’est alors pas capable de reconnaître les significations qui proviennent de la profondeur et il les cherche au-dehors. Alors l’amitié, l’amour, l’union ne sont plus des significations pour construire dans le monde humain, il cherche dans le monde naturel, perdant alors la conscience du sens.

C’est précisément parce qu’il y a un sens que le regard se réveille pour le reconnaître. Pas à pas, il dégage le jour, le regard pénètre l’âme et lorsqu’il trouve quelque chose qui unit et donne cohésion, là, il se repose. Cette unité que trouve le regard intérieur impulse l’action vers la croissance de cette unité tant de fois perdue, tant de fois recherchée.

Le regard frôle qui je suis et me place dans un état de conscience de moi, ou de conscience de l’être en moi. Et dans cet état, je sens un centre, un quelque chose d’unitif qui acquiert une substantialité. Ce contact produit un changement dans mes croyances à propos de la mort. À mesure que croît l’unité interne, augmente le soupçon que ce centre n’est affecté ni par la naissance ni par la mort.

Arrivé là, et avec ces intuitions, tout se renverse. Ce qui semblait superficiel devient fondamental et ce que je croyais important perd de son poids. Me réconcilier cesse d’être une aspiration pour devenir une nécessité. L’unité intérieure prend consistance et sa croissance donne direction à ma vie.

Cette nécessité d’unité n’est pas seulement personnelle, mais elle est celle de tout être humain et nous avons besoin des uns et des autres pour la trouver. Cette reconnaissance peut impulser une action conjointe pour parvenir à l’amplification de la conscience et la libération de la violence et de la souffrance.

Je souhaite que ce livre vous plaise et qu’il sera utile à quelqu’un pour faire un pas sur le chemin vers lui-même".

Dario Ergas
9/12/2012
La Belle Idée.