2017/02/13

L’éveil de l’humanité

Épilogue du livre Unité dans l'action, 
Dario Ergas

Quand je parle du niveau de conscience de l’unité, que j’ai caractérisé par l’éveil du regard intérieur, je me réfère à une façon d’être, à laquelle j’accède sans effort et qui s’installe en moi, comme cela est arrivé à nos ancêtres hominidés avec le sommeil et la veille. Je mentionne un état qui dépasse la veille et fait pressentir un grand changement.
Si je remonte à un temps originel, et que j’observe le surgissement de l’Univers, la condensation de la matière, la naissance de la vie, la coordination de la conscience, cela me semble connecté à une impulsion évolutive, qui à partir de particules très simples, élabore des moments de plus en plus complexes. Il ne semble pas que dans cette spirale de la création, le créé soit jamais intervenu pour collaborer avec cette intention qui le précède. Cette impulsion, jusqu’à maintenant, a été suffisante pour que des combinaisons mécaniques, chimiques et biologiques fassent germer toute l’existence, y compris la vie et les espèces. Jusqu’à l’apparition de l’être humain.
Dorénavant, cet être commence, par son action, sa propre conquête et la conquête du naturel ; pour cela, il accumule son histoire, transfère le temps dans les générations, et réfléchit sur son origine et son sens.
 S’il est vrai que le dépassement de la souffrance et de la peur de la mort est une nécessité, notre prochain pas sera d’atteindre la conscience de l’unité. Mais ceci ne sera pas le fait de l’évolution naturelle, mais parce que, dorénavant, l’humanité ellemême assumera son destin. Non seulement quant aux avancées scientifiques et techniques, qui améliorent la domination de la nature, mais aussi quant à son propre développement psychique et spirituel.
Si ce changement est obtenu dans de petits groupes, il est certain qu’ils essaieront d’influencer le processus historique, la science, l’art, la technique, la religion. Ils chercheront à créer des conditions sociales harmonieuses pour multiplier ce niveau de conscience majeur parmi les grands ensembles.

2017/02/05

Silo: Deux sorties a la crise de civlisation

Extrait de la présentation du livre « Lettres à mes amis » 
Silo, 
Centre Culturel "Station Mapocho"
Santiago, Chili, 14 mai 1994
"Nous arrivons ainsi à un monde où la concentration du pouvoir financier sape toute industrie, tout commerce, toute politique, tout pays et tout individu. L’époque du système fermé commence et dans un système fermé, il n’existe aucune autre alternative que sa dé- structuration. Dans cette perspective, la déstructuration du camp socialiste apparaît comme le prélude à la déstructuration mondiale qui s’accélère de façon vertigineuse.
Tel est le moment de crise dans lequel nous nous trouvons. Mais la crise peut se résoudre selon différentes variantes. Par simple économie d’hypothèses et, par ailleurs, pour pouvoir les illustrer à grands traits, seulement deux variantes sont esquissées dans les Lettres : d’une part l’entropie des systèmes fermés, et d’autre part l’ouverture d’un système fermé grâce à l’action non pas naturelle mais intentionnelle de l’être humain
Voyons la première, que nous allons nuancer par un mode descriptif pittoresque.
Il est très probable que se consolide un empire mondial qui tendra à homogénéiser l’économie, le droit, les communications, les valeurs, la langue, les us et coutumes. Un empire mondial orchestré par le capital financier international qui ne fera même pas cas des populations situées dans les centres de décision. Dans cette situation saturée, le tissu social va poursuivre son processus de décomposition. Les organisations politiques et sociales, l’administration de l’État seront tenues par des technocrates au service d’un monstrueux para-État qui tendra à discipliner les populations, avec des mesures plus restrictives à mesure que la décomposition s’accentuera. La pensée aura perdu sa capacité d’abstraction, remplacée par un mode de fonctionnement ana- lytique et pas à pas, selon le modèle informatique. On aura perdu la notion de processus et de structure, et il en résultera de simples études de linguistique et d’analyse formelle. La mode, le langage et les styles sociaux, la musique, l’architecture, les arts plastiques et la littérature s’en trouveront déstructurés et l’on considèrera comme une grande avancée ce mélange de styles dans tous les domaines, comme ce fut le cas à d’autres périodes de l’Histoire avec les éclectismes de la décadence impériale. Alors le vieil espoir de tout uniformiser entre les mains d’un même pouvoir s’évanouira pour toujours. Cet obscurantisme de la raison, cette fatigue des peuples laisseront le champ libre à tous les fanatismes, à la négation de la vie, au culte du suicide et au fondamentalisme désincarné. Il n’y aura plus de science ni de grandes révolutions de pensée… seulement une technologie qu’on appellera alors "Science". Les localismes, les luttes ethniques resurgiront, et les peuples laissés pour compte se jetteront sur les centres de décision, dans un tourbillon après le passage duquel les mégacités, jadis surpeuplées, seront désertées. Des guerres civiles continuelles secoueront cette pauvre planète sur laquelle nous ne désirerons plus vivre. Enfin arrive la partie du conte qui s’est répétée dans de nombreuses civilisations, lesquelles croyaient, à ce moment-là, en un progrès sans fin. Toutes ces cultures se sont dissoutes mais, heureusement, alors que certaines tombaient, de nouvelles impulsions humaines surgissaient ailleurs et, dans cette alternance, l’ancien fut dépassé par le nouveau. Il est clair que, dans un système mondial fermé, il n’y a pas de place pour l’émergence d’une autre civilisation, mais seulement pour un long et obscur Moyen Âge mondial.
Si ce qui est exposé dans les Lettres, sur la base du modèle expliqué, est totalement incorrect, nous n’avons aucune raison de nous inquiéter. Si, en revanche, le processus mécanique des structures historiques prend bien la direction commentée, alors il est temps de se demander comment l’être humain peut changer le cours des événements. Qui pourrait produire ce formidable changement de direction sinon les peuples qui sont précisément le sujet de l’Histoire ? Sommes-nous arrivés à un degré de maturité suffisant pour comprendre qu’il n’y aura dorénavant plus de progrès si ce n'est celui de tous et pour tous ? C’est cette seconde hypothèse qui est explorée dans les Lettres.
Si chez les peuples s’incarne l’idée qu’il n’y aura pas (il est bon de le répéter) de progrès qui ne soit celui de tous et pour tous, alors la lutte sera claire. Au dernier échelon de la déstructuration, à la base sociale, de nouveaux vents commenceront à souffler. Dans les quartiers, dans les communautés de voisinage, dans les lieux de travail les plus humbles, le tissu social commencera à se régénérer. Cela sera, apparemment, un phénomène spontané. Il se répétera avec l’apparition de multiples groupements de base formés de travailleurs affranchis de la tutelle des directions syndicales. De nombreux noyaux politiques sans organisation centrale apparaîtront et entreront en lutte avec les coupoles des organisations politiques. Dans chaque usine, chaque bureau, chaque entreprise, on commencera à discuter. À partir des revendications immédiates, on prendra conscience d’une situation plus ample dans laquelle le travail aura plus de valeur que le capital. Et quand viendra l’heure de considérer les priori- tés, le risque supporté par le travail sera plus évident que le risque du capital. On arrivera facilement à la conclusion que le bénéfice de l’entreprise doit être réinvesti dans de nouvelles sources de travail ou dirigé vers d’autres secteurs dans lesquels la production continue à augmenter au lieu de dériver vers des franges spéculatives qui engraissent le capital financier, vident l’entreprise et mènent l’appareil de production à la faillite. Le dirigeant d’entreprise commencera à se rendre compte que la banque l’a converti en simple employé et que, dans cette urgence, le travailleur est son allié naturel. Le ferment social se réactivera. Une lutte claire et franche se déchaînera entre le capital spéculatif, caractérisé par sa force abstraite et inhumaine, et les forces de travail, véritable levier de la transformation du monde. On commencera à comprendre, d'un seul coup, que le progrès ne dépend pas de la dette que l’on contracte auprès des banques, mais des crédits que celles-ci devront accorder aux entreprises sans percevoir d’intérêts. Il ne s’agira même plus de la conquête des États nationaux mais d’une situation mondiale dans laquelle ces phénomènes sociaux se propageront en précurseurs d’un changement radical de la direction des événements. De cette façon, le processus ne débouchera pas sur le collapsus mécanique que l’on a vu se répéter si souvent, mais la volonté de changement et d’orientation des peuples avancera sur le chemin qui mène à la nation humaine universelle.
C’est sur cette seconde possibilité, c’est sur cette alternative que parient les humanistes d’aujourd’hui. Ils ont trop foi en l’être humain pour croire que tout finira de manière stupide. Et s’il est vrai qu'ils ne se sentent pas à l’avant-garde du processus humain, ils sont disposés à accompagner ce processus dans la mesure de leurs forces et là où ils sont bien positionnés."

Silo: deux sorties a la crise de civilisation actuelle