2018/09/17

Dario Ergas: Synthèse de l’étude sur la foi

Dario Ergas, Centre d’Études, Parc d’Études et de Réflexion Punta de Vacas, Mars 2017
Traduction en français par Nathalie Douay et Paquita Ortiz

Foi externe
La foi externe est un état psychologique dans lequel on attribue la cause de la force intérieure à un objet de conscience, externe ou interne. La conscience attribue sa cohésion à un objet et renforce  un de ses contenus. La foi externe s’expérimente comme une force intérieure mais qui appartient à l’objet de foi et que c’est lui qui nous la procure. C’est-à-dire que la foi est externe quand on croit que l’objet de foi est la cause de la foi.
La foi externe n’évite pas la peur, au contraire, elle l’augmente dans la coprésence. À chaque crise vitale, elle ressurgira en angoissant la conscience. Pour éviter que la peur ne s’empare de moi, je la submerge de prières ou de tout autre type de répétitions qui maintiennent mon attention en dépendance de l’objet de foi. Mais en faisant cela, en forçant l’attention pour maintenir en présence l’objet de foi, la peur grandit comme un tréfonds de la conscience.

Foi interne
La foi interne est un acte intentionnel, c’est-à-dire que l’acte a sa propre liberté et oriente le psychisme vers ce que l’on aime. La foi interne est, plus précisément, la sensation cénesthésique de cet acte intentionnel qui dirige le psychisme vers quelque chose de "voulu". Nous sommes face à  une qualité assez différente de ce que nous avons l’habitude d’appeler foi, qui en général, se réfère à la foi externe. La foi interne n’est pas un don, ni une grâce mais une énergie vitale que je peux expérimenter et dont je peux disposer pour "charger" des images mentales déterminées et orienter l’action dans une direction voulue.
Cette chose "voulue par moi", dans le cas de la foi interne, renforce l’acte qui la cherche, concentre la force intérieure qui l’imagine, privilégie la commotion interne et non sa "réalité" matérielle ou spirituelle, pas plus que sa possession ou sa concrétisation. La foi interne ne cherche pas à valider l’objet de foi mais à s’expérimenter elle-même en gagnant chaque fois plus en indépendance, autonomie ou liberté vis-à-vis du ou des objets auxquels elle se réfère.
L’acte de foi se réfère à "l’autre", qui est hors de mon contrôle et indépendant de ma volonté. Ce que je veux, "l’autre", n’est pas quelque chose qui "est" puisque son être s’échappe chaque fois que je le définis ; il s’agit de quelque chose qui a une qualité de processus, de changement ; ce que je veux avance en se montrant, en se dévoilant, en se construisant.
La foi interne est un acte intentionnel, comme réponse à une nécessité expérimentée comme vitale, de vie ou de mort, ou en d’autres termes, comme une nécessité de futur et de sens. La foi interne ne se réveille pas par pression sociale, ni par éducation, ni même par révélation. Dans tous ces cas, nous ne parvenons qu’à une foi externe qui porte dans ses racines, un certain degré d’imposition, plus ou moins subtil ou grossier. Ce qui est voulu depuis ma foi interne, au lieu de générer de la dépendance ou l’angoisse de la possession, fait rebondir le regard vers l’intériorité et j’expérimente la
reconnaissance de ma propre foi ou de la force interne. 
La foi en soi-même n’est pas affirmation de soi. Elle n’est pas l’exaltation de mes qualités. Elle n’est pas de s’accrocher à une croyance ou à une identité. La foi en soi-même jaillit quand je lâche les amarres de mon identité et que j’accepte que je ne sais pas qui je suis ; alors, à tâtons dans la quiétude de cette nuit d’étoiles immobiles, je sens l’impulsion de ma propre intention. Ce que je suis, "cet autre", ne m’appartient pas et pourtant réside en moi.
Ainsi, la foi interne est une intention de laquelle j’ai une sensation, qui dirige la conscience vers l’autre qui "veut par soi-même" sans que le moi puisse intervenir dans sa décision, et en le faisant,mon intention à son tour s’expérimente elle-même comme une augmentation de la foi interne, comme une reconnaissance de soi et comme la possibilité ouverte au futur.

Foi en la transcendance
Une foi externe dans la transcendance transférera l’expérience ou la possibilité de l’immortel, la volonté de Dieu, d’un autre être spirituel, ou à tout autre type de contenu de conscience. La peur de la mort est toujours coprésente et, dans certaines circonstances, très banales pour d’autres, elle traverse le brouillard qui m’assoupit et pénètre dans la peau tremblante de mon existence. Depuis la foi externe, j’aurai recours à un Être qui est l’objet de ma foi. Je l’invoquerai et je sentirai sa présence, et avec lui j’empêcherai que la peur de la mort sorte de la coprésence, expérimentant ainsi une certaine tranquillité. Par des prières et des répétitions, je forcerai la présence de cet Être, parce qu’en étant occupé à l’invoquer, l’angoisse de la mort diminue. La mort reste hors de l’horizon de mon attention mais perdure dans le champ de la coprésence. Au lieu de diminuer, la peur de la mort augmente sa pression comme réaction à la force que je mets pour empêcher qu’elle entre dans le champ de mon attention. Dans toute erreur ou toute crise, la peur de la mort surgira depuis la coprésence et occupera le centre de la conscience.
Ce n’est pas l’objet de l’acte de foi qui distingue la foi interne de la foi externe. Mais dans un cas, la direction de la conscience est mise vers le contact avec la force intérieure en se détachant de l’objet de foi, en le comprenant comme un échafaudage de la construction spirituelle remplaçable à chaque pas évolutif ; et dans le second cas, dans le cas de la foi externe, on affirme et on exalte l’objet de foi en le considérant comme la cause de la foi. Dans tous les cas, il faut clarifier que même dans le cas de la foi externe, si nous sommes face à une nécessité réelle, qui mobilise des forces instinctives de survie, un déplacement du moi habituel pourrait se produire. La conscience répondra depuis cette condition "inspirée" à la nécessité qui l’a pressionnée. Ceci validera l’objet de la foi externe et renforcera le sentiment que la force intérieure provient de l’extériorité.
Si au contraire, je réveille ma foi interne, j’accepte l'incertitude de ne pas connaître les réponses. Je me laisse posséder par le sentiment de l’ignorance face à des thèmes que jusqu’ici, j’essayais qu’ils ne m’affectent pas, de les chasser rapidement à travers une foi ingénue ; ou parfois, en éradiquant ces pensées par des oraisons ou des répétitions forcées. Absorbé par le doute et l’ignorance, un vertige inhabituel, une angoisse qui m’inquiète et qui reste pour toujours me révèlent que je suis face à une véritable nécessité de mon existence. Alors j’ai recours à ma foi interne.
Renversé vers l’intérieur de moi-même, je me réfugie au-delà de la sensation. Bien qu’il me coûte de l’accepter parce que ça réfute toute pensée antérieure, je sens une force intérieure qui ne s’altère pas face à la confusion intellectuelle, une certaine neutralité émotive qui ne s’agite pas dans le va-etvient du oui et du non de l’angoisse ; je trouve une tranquillité inespérée en moi, que je peux décider d’accepter, ou de le dégrader comme s’il était illusoire. La foi interne s’expérimente en soi-même, et même sans avoir de réponses, je sais que je "sais" et bien que ce soit sans passion, c’est sans peur non plus. Cette présence en moi, même au coeur de la tourmente, est révélatrice d’une force intérieure qui peut m’orienter dans une direction transcendante et de sens. La foi interne ne nie pas l’abîme, la mort ou le néant ; mais elle expérimente en elle-même quelque chose qui lui survit.

La croissance de la foi interne
Nous ne nous apercevons jamais assez de la primauté de l’action pour donner cohérence et unité à la vie. La pensée est importante, le sentiment est important mais leur mobilité et variabilité ne donnent pas consistance jusqu’à ce qu’ils soient fixés dans le monde à travers l’action. C’est l’action qui finalement rapporte dans l’accumulation de la force et de l’unité interne, ou dans la faiblesse et la contradiction.

La foi interne grandit dans la reconnaissance de "l’autre", d’une intention étrangère que je ne peux posséder mais que je peux aimer et rendre digne. Cette intention qui ne m’appartient pas, je peux la reconnaitre dans l’autre être humain près de moi, je peux percevoir une intention évolutive à laquelle je participe, en frôlant le terrain du sacré. Mais cette reconnaissance de "l’autre" s’évanouit immédiatement comme compréhension intellectuelle ou comme émotion touchante à moins qu’à travers l’action nous reconnaissions "l’autre" que je ne possède pas mais que l’action peut révéler.
Ainsi la valeur de l’action est tout d’abord donnée par sa capacité à augmenter la foi interne et l’unité interne et non pas par le fait d’atteindre des objectifs. Les indicateurs externes de l’action ont une importance au moment de l’évaluation et de la réflexion mais ne peuvent supplanter la référence existentielle de la croissance de la paix intérieure, de la force interne et de la joie du futur en soi même et dans le milieu qui m’entoure. En faisant cette inversion de la valeur de l’action, nous expérimentons de la contradiction, de la faiblesse et la foi s’externalise vers l’ingéniosité ou le fanatisme.
Nous en comprenons un peu plus sur la foi interne en la différenciant de la foi externe dans laquelle on croit que l’objet de foi ou la croyance est la cause de la foi. Nous avons traduit la foi interne dans sa modalité de foi en soi-même et de foi dans la transcendance.
La foi peut être réveillée quand se présente à nous la proximité de la mort ou du non-sens; ceci peut arriver par accident, ou parce que consciemment nous nous approchons aimablement de ces pensées, en acceptant l’incertitude et l’angoisse qu’elles nous produisent. La reconnaissance de ma nécessité est aussi reconnaissance de la fragilité, de l’errance dans le non-sens, du futur qui se brise avec la mort. Depuis le contact avec cette nécessité, je prends la décision de réveiller ma foi interne, de sentir ma force intérieure.
Dans cette internalisation, je trouve une force intérieure et un calme que nous appelons foi interne. Cette foi interne, je peux la diriger vers quelque chose de "voulu", d’aimé. Cet "autre" vers lequel je dirige ma foi ne peut être possédé puisqu’il n’est pas ce qu’il est mais qu’il change et se constitue dans la mesure où la foi interne grandit ; et à mesure que ma foi se dépose en lui, la sensation d’elle même s’intensifie. Le contact et la reconnaissance de cette énergie va changer les croyances que j’ai sur la vie, les autres et la transcendance.
En prenant contact avec la sensation de ma force intérieure, j’observe que celle-ci est liée à certaines personnes, à certains projets ou futurs possibles vers lesquels je me dirige. Je peux sentir aussi la force avec laquelle je m’accroche à eux et la peur que je ressens à l’idée que ces personnes m’abandonnent ou que ce futur imaginé ne s’accomplisse pas. Je peux maintenant observer cette dépendance de ma force intérieure à ces futurs possibles. En observant mon appréhension et ma peur, j’entre dans un espace plus interne et plus tranquille, et j’observe ces attachements depuis une certaine neutralité. Cette position interne peut se convertir en une nouvelle référence dont la croissance et le renforcement donnent un sens rénovateur à la vie et orientent l’action vers un destin libérateur.

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