2016/08/04

La "conscience inspirée"


Source: Silo, psychologie IV

La conscience inspirée est une structure globale, capable d'accéder à des intuitions immédiates de la réalité. Par ailleurs, elle est apte à organiser des ensembles d'expériences et d'expressions, transmises habituellement à travers la philosophie, la science, l'art et la mystique. 

Pour rester dans le style de notre développement, nous pourrions nous demander de façon quelque peu scolaire et répondre sur le même ton : 

Est-ce que la conscience inspirée est un état d'altération ou un état d'immersion en soi ? Est-ce un état perturbé ? Est-ce une rupture de la normalité ? Est-ce une introjection ou une projection extrême ? Il est certain que la "conscience inspirée" est plus qu’un état, c’est une structure globale qui passe par différents états et qui peut se manifester dans différents niveaux. La conscience inspirée perturbe le fonctionnement de la conscience habituelle et rompt la mécanique des niveaux. Enfin, elle est davantage qu'une extrême introjection ou qu'une extrême projection car elle se sert des deux en alternance, et ce en regard de sa finalité. Celle-ci est manifeste quand la conscience inspirée répond à une intention présente, ou dans certains cas, lorsqu'elle répond à une intention non présente mais qui agit de manière coprésente.

En philosophie, les rêves inspirateurs et les inspirations soudaines sont peu nombreux mais quelques penseurs appliquent l'intuition directe pour appréhender les réalités immédiates de la pensée, sans l'intermédiaire de la pensée déductive ou discursive. Il ne s'agit pas des courants "intuitionnistes" en logique et en mathématiques mais de penseurs qui privilégient l'intuition directe, comme Platon avec les Idées, Descartes avec La pensée claire et distincte qui écarte le piège des sens, et Husserl avec ses descriptions des Noesis, "dans la suspension du jugement" (Épochè).i

Dans l'histoire de la science, on recense quelques exemples d'inspiration fulgurante qui provoquèrent d'importantes avancées. Le cas le plus connu, bien que sujet à caution, est celui de la fameuse "chute de la pomme" de Newton.ii Même si cela s'est réellement déroulé ainsi, nous devrions reconnaître, quoi qu'il en soit, que l'inspiration subite fut motivée par une recherche lente mais intense, dirigée vers le système cosmique et la gravité des corps. Nous pouvons citer d'autres exemples, comme ce qui est arrivé au chimiste Kekulé.iii Celui-ci a rêvé une nuit de plusieurs serpents entrelacés qui furent sa source d'inspiration pour développer ses traités sur la chimie organique. Il est certain que sa constante préoccupation de mettre en formules les liens entre les substances avait continué d'agir même dans le niveau de sommeil paradoxal pour emprunter la voie de la représentation allégorique.

On connaît de nombreux exemples de rêves inspirateurs dans l'art. Mary Shelley avait déclaré à ses amis qu'elle sentait cette « …vide incapacité de pouvoir inventer, ce qui est le plus grand malheur d'un auteur. »iv Mais cette nuit-là, elle vit dans ses rêves l'être horrible qui inspira sa nouvelle "Frankenstein ou le Prométhée moderne". Il se produisit la même chose pour R.L. Stevenson lorsqu'il entreprit, à partir d'un rêve, son récit fantastique "Le cas étrange du Dr Jekyll et de Mr Hyde".v Dans le domaine des arts, les inspirations de veille des écrivains et des poètes sont bien évidemment les plus connues, mais nous sommes parvenus par d'autres biais à connaître aussi les inspirations des peintres. Kandinsky, dans "le spirituel dans l'art" décrit la nécessité intérieure qui s'exprime en tant qu’inspiration de l'œuvre artistique.vi Des artistes plasticiens, écrivains, musiciens, danseurs et acteurs ont cherché l'inspiration en essayant de se placer dans des espaces physiques et mentaux non habituels. Les différents styles artistiques qui font écho aux conditions de l'époque ne sont pas simplement des modes ou des façons de générer, saisir et interpréter l'œuvre artistique mais des manières de "se prédisposer" pour recevoir et donner des impacts sensoriels. Cette "disposition" est ce qui module la sensibilité individuelle et collective et par conséquent, elle est le pré-dialogue qui permet d'établir la communication esthétique.vii



Il y a dans la mystique de vastes domaines d'inspiration. Précisons que lorsque nous parlons de "mystique" en général, nous faisons référence aux phénomènes psychiques "d'expérience du sacré" dans ses diverses profondeurs et expressions. Il existe une abondante littérature qui relate des rêvesviii, des "visions" en demi-sommeilix et des intuitions en veillex de personnages référents dans les religions, les sectes et les groupes mystiques.

Les états anormaux abondent également (dans ce domaine) ainsi que les cas extraordinaires d'expérience du sacré que nous pouvons classer comme suit : l'extase : situations mentales dans lesquelles le sujet reste comme suspendu, plongé à l’intérieur de lui-même, absorbé et ébloui ; le ravissement, caractérisé par une agitation émotive et motrice incontrôlable dans laquelle le sujet se sent transporté, emporté hors de lui, vers d'autres paysages du mental, d'autres temps, d'autres espaces ; enfin la reconnaissance dans laquelle le sujet croit comprendre le Tout en un instant. 

À ce sujet, nous considérons la conscience inspirée dans son expérience du sacré, car la conscience est variable dans sa façon d'être face aux phénomènes extraordinaires, même si par extension, on a aussi attribué ces fonctionnements mentaux aux ravissements du poète ou du musicien, cas dans lesquels "le sacré" peut ne pas être présent.

Nous avons cité des structures de conscience que nous avons appelées "conscience inspirée" et nous avons relevé leur présence dans les vastes domaines que sont la philosophie, la science, l’art et la mystique. Mais la conscience inspirée apparaît aussi dans la vie quotidienne par les intuitions ou les inspirations de la veille, du demi-sommeil ou du sommeil paradoxal. Les exemples d'inspiration du quotidien sont ceux de l’état amoureux, des compréhensions subites de situations complexes, de la résolution instantanée de problèmes qui perturbaient le sujet depuis longtemps. Ces quelques cas mentionnés ne garantissent cependant pas la justesse, la vérité ou la coïncidence entre le phénomène et l’objet, même si les registres de "certitude" qui accompagnent ces états sont de grande importance. 

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i Platon et Aristote connaissaient les différences entre le penser intuitif et le penser discursif, Platon privilégiant le premier. Pour lui, les Idées du Bon et du Beau dénotent la contemplation directe et sont réelles, tandis que les choses bonnes ou belles dérivent de ces Idées et ne possèdent pas la même réalité immédiate. Nous devons à Descartes, ce grand apport de la pensée qui pense sur elle-même sans intermédiaire et à Husserl le contact direct avec les noèses, les actes du penser et les noèmes, les objets liés intentionnellement aux actes du penser.

ii Isaac Newton, en 1666 à Woolsthorpe, Royaume-Uni.
iii Auguste Kekulé établit en 1865 à Bonn, Allemagne, la théorie de la quadrivalence du carbone et la formule hexagonale du benzène.
iv Mary Godwin. L'histoire se trouve dans les notes que Polidori écrivit dans son journal le 18 juin 1816 à la villa Diodati, à côté du lac Léman, Suisse.
v R.L. Balfour, dans les îles Samoa en 1886.
vi Wassily Kandinsky, en 1911 à Moscou.
vii SILO, Op. Cit. vol I., Conférence sur les conditions du dialogue donnée à l'Académie des Sciences de Moscou en 1999.
viii IV Brihadaranyaka Upanishad. "Quand l'esprit humain s'est retiré au repos, il retient avec lui les matériaux de ce monde dans lequel sont contenues toutes les choses, et alors il crée et détruit sa propre gloire et irradiation, car l'Esprit brille de sa propre lumière".
ix La Bible. Da-niyye-1. X, 7, version espagnole de Dujovne Kostantinovsky. "Et moi seul, Da Niyye-1, je vis la vision ; car les hommes qui étaient avec moi ne la virent pas, mais sur eux est tombée une grande terreur et ils coururent se cacher".
x L'Avesta. Les Gothas. Yasna XLV, 2-3. "Je proclamerai ce premier enseignement au Monde. Enseignement que m'a révélé l'Omniscient Ahura Mazda. Je parlerai des deux premiers Esprits du monde, et du bon qui dit au mauvais : Ni nos pensées, ni nos commandements, ni notre intelligence, ni nos croyances, ni nos œuvres, ni notre conscience, ni nos âmes ne sont d’accord en rien".

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