2023/03/22

le registre que j’ai de l’humanité des autres

Tant que je ne percevrai de l’autre que sa présence “naturelle”, l’autre ne sera qu’une présence objectale, ou plus précisément animale. Tant que ma perception de l’horizon temporel de l’autre sera anesthésiée, l’autre n’aura de sens pour moi qu’en tant que “pour-moi”. La nature de l’autre sera un “pour-moi”. Mais en construisant l’autre dans un “pour-moi”, je me constitue et je m’aliène dans mon propre “pour-soi”. Je veux dire que si je suis “pour-moi”, je ferme mon horizon de transformation. Celui qui chosifie se chosifie lui-même et ferme ainsi son horizon.
Tant que mon expérience de l’autre se fera à travers le “pour-moi”, mes actes n’humaniseront pas le monde. Dans mon registre intérieur, l’autre devrait être une chaude sensation de futur ouvert qui ne se termine même pas dans le non-sens chosifiant de la mort.
Sentir l’humain dans l’autre, c’est sentir la vie de l’autre comme un bel arc-en-ciel multicolore et qui s’éloigne d’autant plus que je veux arrêter son expression, l’attraper, l’arracher. Tu t’éloignes, et je me sens réconforté si j’ai contribué à briser tes chaînes, à surpasser ta douleur et ta souffrance. Et si tu viens avec moi, c’est parce que dans un acte libre tu te constitues en tant qu’être humain, et non seulement parce que tu es né “humain”. Je sens en toi la liberté et la possibilité de te constituer en être humain, et mes actes trouvent en toi ma cible de liberté. Alors, pas même ta mort n’arrêtera les actions que tu as mises en marche car tu es par essence temps et liberté.
Ainsi, j’aime chez l’être humain son humanisation croissante. Dans ces moments de crise et de chosification, dans ces moments de déshumanisation, j’aime sa possibilité de réhabilitation future.

Extrait de "Propos de Silo" - Ed. Références  2013