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2018/03/27

Travaux avec le niveau de sommeil dans les écoles de l’éveil - Inde et contreforts de l'Himalaya -

arianeweinberger@gmail.com 
Parcs d’Étude et de Réflexion – La Belle Idée 
Février 2018

INTRODUCTION
Cette étude, délimitée géographiquement à la région indo-tibétaine, a été réalisée d'une part dans l'intérêt global de découvrir les écoles mystiques dans lesquelles le niveau de sommeil faisait partie des travaux d'ascèse, et d'autre part, dans l'intérêt plus personnel de comparer les expériences et conclusions de ces chercheurs spirituels avec nos propres observations dans ce domaine ; observations que nous avons formulées sous forme de « 7 hypothèses » que voici : 
1. Dans le contexte de l'ascèse, les rêves sont des « indicateurs » de notre croissance spirituelle : les rêves psychologiques diminuent et les rêves significatifs augmentent ; 
2. Il est possible et même intéressant de rendre intentionnel le sommeil naturel, en y introduisant direction, réversibilité, lucidité ; 
3. Quand le Dessein est au centre, il envahit tous les niveaux de conscience, même le sommeil ; les rêves deviennent alors des « expériences spirituelles » ; 
4. Quand l'ascèse se prolonge dans le sommeil, les rêves ressemblent à des « pratiques d'ascèse allégorisées » : le « train d'images oniriques » conduit alors au Profond ; 
5. Dans ce cas, la disparition des images/registres ne correspond plus à l'évanouissement de la conscience mais à une « rupture de niveau » (suspension/suppression du moi) : le sommeil végétatif, de vitalité diffuse, se convertit en une expérience d'Éveil ; 
6. Nombre de rêves significatifs sont des traductions postérieures des réminiscences du contact avec le Profond obtenu dans le sommeil ; 
7. Les rêves significatifs méritent d'être étudiés et interprétés pour que leurs significations et enseignements soient pleinement intégrés.
...

CONCLUSION
Cette investigation bibliographique sur les écoles indo-tibétaines de l’Éveil a été réalisée avec un intérêt général — découvrir les mystiques qui incluaient le niveau de sommeil dans leur travail d’ascèse — mais aussi avec un intérêt plus particulier — savoir si ces ascètes avaient abouti à des expériences et conclusions similaires aux nôtres.
Après étude des différentes sources rencontrées, nous pouvons affirmer à présent que nos « hypothèses » développées dans l’Introduction ont été confirmées, bien que de façon inégale selon les écoles. Nous ne pensons pas qu’il soit nécessaire de les reprendre une à une pour en prouver la validité ; en revanche, il nous paraît important de faire ressortir et de commenter les aspects les plus significatifs et inspirants, à nos yeux, pour notre Ascèse.

L’irrévérence mentale
Une caractéristique commune nous frappe chez tous les maîtres spirituels qui ont travaillé avec le sommeil comme voie d’ascèse : ils développent leurs travaux en marge de la religion officielle, ou bien refusent de se soumettre aux règles des ordres monastiques existants, ou encore ils s’inspirent d’éléments doctrinaires et de techniques provenant de plusieurs courants (pas seulement des leurs) pour tracer leur propre chemin.
En effet, les « ascètes de la forêt » de l'Inde ancienne sont des ascètes errants ou des ermites qui pratiquent, étudient et enseignent en marge de la religion établie (le védisme-brahmanisme). Cela vaut pour les mystiques hindous comme pour le jaïniste Mahavira et le Bouddha, les deux vivant à la même époque.
À l’époque médiévale, les shivaïtes tantriques du Cachemire se démarqueront du Shivaïsme classique, tandis que les bouddhistes tantriques de la tradition Vajrayana se distingueront du bouddhisme classique (Hinayana/Theravada) ; et qui plus est, à l’intérieur de la branche Vajrayana, les mystiques Naropa, Marpa, Milarépa et ses successeurs — constituant la lignée Kagyupa — ne seront jamais moines ordonnés comme les yogi des trois autres lignées.
Quant à Swami Satyananda (moine), il se formera auprès de plusieurs maîtres spirituels, intégrant dans son yoga des éléments de différentes traditions (hindouistes-vendantistes mais aussi tantriques et même jungienne). Enfin, si Sri Aurobindo s’inscrit dans la tradition hindouiste, il est avant tout un autodidacte, libre d'appartenance ; d’ailleurs il ne prendra jamais le statut de « renonçant » (sannyasin ou swami), même si, dans les faits, il consacrera sa vie entièrement à la Réalisation spirituelle, renonçant même à la direction de son ashram pour se dédier uniquement à la méditation et à l’écriture pendant les 25 dernières années de sa vie.
En somme, ces mystiques sont tous des esprits particulièrement indépendants, libres, audacieux. Et pour cause : prétendre produire l’éveil depuis le sommeil, n’est-ce pas une irrévérence mentale ?

La double posture
La « double nature » de la conscience — conditionnée et en même temps intentionnelle —, se traduira dans une « double posture » mentale vis-à-vis du phénomène onirique. L’être humain, lorsqu’il croit être réveillé, est en réalité perdu dans ses rêveries, il « rêve ». La nuit, il est perdu dans ses images oniriques, il « dort ». Enfin, dans son sommeil profond végétatif, il est perdu dans la vitalité diffuse, comme « mort ». L'être humain doit transcender la veille, le rêve et le sommeil profond pour réaliser sa nature ultime, passer de l'illusion à la Réalité (Réalisation du Soi). En ce sens, le contenu des rêves n’est pas très important car les images oniriques, aussi inspirées soient-elles, ne sont que les illusions d’une conscience « non totalement illuminée ». Ce qui compte c’est la lucidité dans le sommeil, le maintien de la conscience de soi, se rendre compte que l’on rêve. Aussi s'agit-il d’éluder le sommeil paradoxal avec les rêves pour glisser dans un « entre-deux » (brèche entre la veille et le rêve) ou du moins raccourcir le train d'images oniriques pour entrer le plus rapidement possible dans le sommeil profond sans images et, de là, dans l’Éveil.
Dans le même temps, le sommeil est important parce qu’il offre une voie facile d’immersion en soi: en plongeant dans le sommeil, on coupe naturellement les stimuli des sens externes, pouvant alors explorer le monde intérieur, puis les réalités du plan supérieur, si tel est le dessein. Dans ce cas, les rêves s’avèrent être un « pont » avec ce plan. Le sommeil devient une voie d'illumination dès lors qu’on apprend à éduquer l’attention, à donner direction aux images, à rester en état de liberté intérieure face aux illusions du paysage onirique. Les rêves sont considérés comme des indicateurs précieux de progrès spirituel, et inversement, les avancées de l’ascèse doivent se confirmer dans les rêves. Ce progrès se mesure à leur pouvoir transformateur, à la qualité des images /registres, au degré de lucidité, à la capacité à induire des rêves inspirés et à les diriger vers la Lumière, à s'en souvenir au réveil, à les interpréter correctement pour bénéficier de leur enseignement. Parmi les rêves significatifs, les plus recherchés sont les rêves prémonitoires ou « prophétiques », les rêves partagés (de communication d'espaces), les rêves de conscience inspirée (ravissement, extase, reconnaissance).
Cette double posture n’est pas contradictoire, elle est « paradoxale ». Mais, l’Ascèse, n’est-elle pas pleine de paradoxes ? Équilibrer le moi pour mieux le déstabiliser ; renforcer ses mécanismes pour mieux les réduire au silence. Formuler un Dessein puissant et en même temps renoncer à tous les désirs, même les plus élevés, et, enfin, mourir pour accéder à l’existence…
Et, « le penser paradoxal », ne serait-il pas, justement, l’indicateur d’une forme mentale différente, supérieure, au-delà des dualismes, des oppositions et des contradictions ?

L’ascèse continue
Ce qui est visé, dans toutes les écoles que nous avons étudiées, c’est l’Éveil absolu. Il ne suffit pas d’être un « partiellement illuminé » avec des expériences occasionnelles desquelles on peut retomber dans un état ordinaire. Il s’agit de devenir un « totalement illuminé » dont l’état ne fluctue plus. Cela implique un processus dans lequel le niveau de conscience de soi est consolidé et l’état de conscience inspirée permanent ; où le centre de gravité interne profond s'est substitué à l’ancienne identité. Parvenir à ce changement profond, essentiel, irrévocable, exige une ascèse intégrale et continue ; une ascèse jour et nuit.
Alors, rien d’étonnant à ce que le niveau de sommeil se convertisse en une « ascèse de nuit », additionnellement à l'ascèse du jour. Le Dessein étant au centre de façon permanente, il envahira tous les niveaux de conscience y compris le sommeil, transformant les rêves en expériences mystiques. « Si pour toi le jour et la nuit sont inspirés, tu avances vers une vie éveillée… ».
Mais nos ascètes « fous-furieux » ne se contentent pas de rêves significatifs comme conséquences des pratiques diurnes ; même si les rêves inspirés, mystiques, ne sont plus accidentels à ce stade de l’ascèse puisqu’ils se produisent suite à une prédisposition générale et à une pratique assidue durant la journée. Ces mystiques vont, de surcroît, élaborer des pratiques spécifiques pour la nuit : des procédés plus ou moins complexes selon les écoles, pour rendre intentionnel le sommeil naturel, pour en faire une méditation profonde, une pratique d’ascèse en soi ; ce qui exige, une fois de plus, une attitude mentale « contre-nature » !
Après étude des différentes pratiques yogiques, Eliade conclut : Toutes les techniques yogiques invitent au même geste : faire exactement le contraire de ce que la nature humaine vous force à faire. L'orientation reste toujours la même : réagir contre l'inclination « normale », « profane », en dernier lieu « humaine ». … (Eliade, Yoga – immortalité et liberté, p. 104).
Mais l'ascèse elle-même, n'est-elle pas en soi une entreprise « contre-nature », à commencer par chercher à aller dans le vide au lieu de le fuir… ?
Alors, contrôler le sommeil, en mettant de la réversibilité et de la conscience de soi dans le rêve, et de plus, en produisant l'éveil depuis le sommeil profond, revient à triompher, encore une fois, d’une loi naturelle, à s'affranchir d'un conditionnement de plus, à pousser encore une limite, bref, à amplifier le champ de liberté.
Et, en allant contre-nature, le pratiquant dépassera sa nature humaine et réalisera sa nature véritable : « pleinement humaine » ou si l’on préfère, « divine » !

Domestiquer le sommeil et la mort
Lorsque, nuit après nuit, nous allons dormir et que nous perdons toute notion de nous-mêmes, est ce que nous entrons dans la mort ou dans le Profond ? Le sommeil sert-il à nous préparer à la mort ou à la transcendance ?
Dans l'ère védique, l’attitude vis-à-vis du sommeil est pleine d’appréhensions : le sommeil est considéré comme un état d’affaiblissement par rapport à la veille, pire, il est comparé à la mort — il est le fils de la mort ; de façon similaire, chez les grecs, le dieu du sommeil « Hypnos » et le dieu de la mort « Thanatos » sont frères —. Cette vision est compréhensible puisque dans le sommeil « naturel », la réversibilité de la conscience diminue pendant le cycle paradoxal (rêves) et notre « moi-conscience » s’évanouit totalement pendant le cycle végétatif profond (sans images).
Cela changera au moment où la religion s’intériorisera : les rituels religieux externes céderont aux pratiques d’immersion en soi, d’auto-exploration et d’auto-transformation de la conscience. De même, au lieu de faire appel à la magie pour se protéger contre des rêves néfastes ou pour obtenir des rêves favorables, on étudiera le sommeil et on développera des techniques pour le contrôler.
Des équivalences vont être établies entre « sommeil-méditation-éveil » d’une part et « sommeilmort- transcendance » d’autre part. Le point de jonction étant la conscience de soi ! Sans conscience de soi, pas de centre de gravité interne, et sans centre de gravité interne, pas de transcendance.
La lucidité que le yogi aura développée dans son sommeil, lui servira au moment de sa mort ; car le « bardo post-mortem » ressemble à l’état de rêve — comme cela est amplement développé dans le Bardo-Thödol, Le livre des morts tibétains. Alors, au lieu de se perdre dans son propre labyrinthe, le rêveur (ou le mourant) entraîné à la conscience de soi, saura déjouer les pièges des projections de son mental et rester en état de liberté face aux illusions du paysage onirique ; il saura donner direction à ses images puis il saura les transcender pour se diriger vers la Lumière.
Le pratiquant devra également s’éduquer à distinguer les différents types de lumières et surtout il devra se préparer à supporter la clarté de la Lumière ultime car, dans le cas contraire, il ne pourra pas l'intégrer. En effet, lorsqu’on n’y est pas entraîné, on ne saurait supporter son éblouissement et sa pression : alors le dormeur sera expulsé de son sommeil et se réveilla brusquement. Le mort, quant à lui, s’en éloignera sans accéder à la libération ultime. Comment ne pas faire la relation avec la cérémonie d'Assistance (Le Message de Silo, p. 121) ?
Et, lorsque les rêves ressembleront de plus en plus au parcours du Guide du Chemin Intérieur (Ibid, p. 51) — quasi identique à l’Assistance — pour nous conduire dans la plus belle des Lumières, ou lorsque les rêves seront les traductions postérieures à nos incursions, toujours plus fréquentes, dans la Cité cachée devenue désormais notre nouveau « foyer », nous saurons que nous sommes immortels. Alors chaque nuit sera vécue comme un retour à la Source et chaque nouvelle journée comme une « projection » de ses significations profondes dans le monde. Et lorsque cette mission sera accomplie ici, l'évolution continuera dans les espaces infinis…

2016/09/03

Le phenomenon de l'illumination


Silo. Canarie 2 – 1978 
 
4° Jour.
A mesure que l’on descend dans l’espace de représentation, cet espace s’obscurcit. A mesure que l’on monte dans cet espace il s’éclaircit. Comme vous le savez bien. Cette obscurité dans la descente et cette clarté dans la monté sont en rapport avec deux phénomènes : un l’éloignement des centres optiques et le système habituel d’idéation et l’autre le système habituel de perception par lequel nous avons associé la lumière du soleil avec le ciel, etc… l’absence de lumière avec les profondeurs.
Ceci ne signifie pas que les objets, placés dans les hauteurs ou les profondeurs ne soient pas clairs, car il y a des objets dans les hauteurs qui sont obscurs même lorsque l’espace de représentation est plus illuminé, et il y a des objets qui sont clairs dans les profondeurs de l’espace de représentation. Mais il y a des points limites, aussi bien dans la montée que dans la descente, dans l’espace de représentation, et ainsi en arrivant aux limites, tant en bas qu’en haut, tout l’espace se trouve obscurci. Il se trouve obscurci parce que nous arrivons aux sensations limites du corps. Il est obscur parce qu’au-delà il n’y a pas de signal. De sorte qu’en descendant ou en montant, même lorsqu’en haut nous voyons de la clarté, si l’on monte bien au-delà, au-delà de la clarté, l’espace de représentation s’obscurcit aussi. Enfin l’espace de représentation, aussi bien en bas qu’en haut, dans ses limites, se trouve totalement obscur.
Dans les profondeurs ou dans les hauteurs peuvent apparaître des objets plus ou moins lumineux. Je peux représenter ces objets, mais cela ne modifie pas le ton général de lumière qui peut exister dans l’espace de représentation. Cependant dans certaines conditions et toujours aux limites de l’espace de représentation, uniquement dans des conditions déterminées, un curieux phénomène de lumière se produit, il fait irruption en illuminant tout l’espace de représentation. Ainsi cette lumière qui illumine tout l’espace de représentation s’impose de telle façon que même si notre sujet monte ou descend, dans tous les cas l’espace de représentation demeure illuminé. Cette lumière ne dépend pas d’un objet spécialement illuminé, mais tout l’écran est maintenant très brillant. C’est comme si vous mettiez la T.V., complètement lumineuse. Il ne s’agit pas de voir un objet plus illuminé qu’un autre, mais il y a une brillance particulière qui n’est pas en fonction de ce qui se passe dans les figures, la brillance générale sur tout l’écran est extrême. Dans certains processus transférentiels, après avoir enregistré ce phénomène, notre ami ressort en veille, et sa perception du monde continue à être modifiée par cette curieuse transformation qui s’est opérée dans son espace de représentation. Selon les descriptions, les objets lui semble plus brillants, plus nets, avec plus de profondeur, etc.… C’est-à-dire qu’en produisant ce curieux phénomène d’illumination de l’espace de représentation, quelque chose aussi s’est produit non seulement dans le système de représentation mais aussi ce système de représentation à modifié les perceptions du monde, selon ce que nous venons de voir. IL est très accidentel que les deux phénomènes se produisent : l’obscurité de la limite, le dépassement de cette barrière, fréquemment décrite et l’accès à une sorte de lumière illuminant l’espace de représentation.
Par contre dans les processus autotransférentiels, l’intention finale de ce processus, est de transcender les limites de la représentation de cet espace qui finalement s’obscurcit. De même, empiriquement, sans grande connaissance technique, ou peut-être avec une connaissance mais sans l’afficher, dans de nombreuse religions et pratique mystiques, il s’agit de se mettre en contact avec cette lumière ou avec ce phénomène transcendant le système de représentation, qui soudain fait irruption dans la conscience.
Avec différents procédés ascétiques, parfois rituels, parfois hallucinatoire, au moyen du jeûne, de la prière, de la répétition, par de nombreux moyens, beaucoup de rites dans tous les cas supérieurs et beaucoup de religions prétendent obtenir ce contact avec une sorte de source de lumière. Dans les processus transférentiels et autotransférentiels, que ce soit par accident dans le premier cas ou de façon dirigée dans le deuxième, on a quelque connaissance de ce phénomène, et on sait que ceci peut se produire quand le sujet a reçu une forte commotion psychique, c’est-à-dire que son état est proche d’un état altéré de conscience. La littérature universelle est également remplie de considérations sur ces phénomènes. Lorsqu’après sa commotion spirituelle, ou interne, Moïse va sur la montagne et rencontre la lumière, un buisson ardent devant lui, et qu’il se prosterne devant ce buisson ardent et que sans le regarder il dit : «  Et toi qui es-tu ? », le buisson ardent, chose étrange, lui parle, c’est-à-dire communique avec lui et lui répond : «  je suis celui qui est ». C’est une réponse intéressante. Lorsque Paul qui à l’apparition du christianisme s’adonnait à la persécution des chrétiens, c’était un hobby pour lui, (rires), lorsque Paul poursuivait les chrétiens mais certainement sous une forte commotion spirituelle et une puissante recherche, vit soudain une grande lumière qui le fit tomber de son cheval, qui le rendit quasi aveugle, et la lumière lui demande : « Saül pourquoi, me poursuis-tu ? » C’est ainsi que Paul s’appelait : Saül. Il aurait pu s’appeler Ramon, par exemple (rire), mais il s’appelait ainsi. « Saül, pourquoi me poursuis-tu ? » De plus Saül resta aveugle, il fut aveuglé à cause de cette lumière. Et Saül se convertit au christianisme et devint le plus grand organisateur du christianisme, saint Paul.
Aujourd’hui, sans aller si loin, on aperçoit de nombreux objets dans les cieux. Les gens voient des lumières. Si notre ami est un monsieur qui conduit une voiture, et qu’en pleine nuit, il voit devant lui une lumière, une lumière qui se déplace, il arrête sa voiture. Cette lumière continue à se déplacer très vite et que ce n’est pas la lumière d’un autre véhicule, c’est une lumière qui se déplace dans toutes les directions, s’il n’y a pas de référence spatiale- des cabines téléphonique, des maisons etc…- à quelle distance se trouve cette lumière ? Est-elle derrière le pare-brise ? Ou devant ? Ou dans sa conscience ? Et cette représentation est en train de modifier sa perception. Puis, il y a beaucoup d’autres phénomènes qui n’ont rien à voir avec la lumière que nous évoquions dans le cas de Saül ou de Moïse, etc…
On observe bien d’autres cas : des cas de luminescence, etc… dans la chambre du silence etc… avec des drogues hallucinogènes, les gens observent aussi certaines choses mais sans rapport avec la lumière qui aveugle. Dans la chambre du silence, le sujet qui flotte, et son visage hors de l’eau et certaines parties de son corps aussi, à un moment donné le sujet voit une lune d’argent par exemple. Cette lune d’argent n’est rien d’autre que la traduction à l’image visuelle de ses sensations tactiles de cette partie du visage restée hors de l’eau, la forme de cette lune croissante ou décroissante, n’est autre que la forme du visage de notre ami. Cette lumière, à son tour devient plus indépendante et le sujet, comme il n’a plus de limites corporelles, ne sait pas si cette lumière est hors de lui ou bien, si elle est une projection d’un phénomène traduit de représentations internes. Ainsi donc ces lumières que l’on voit, peuvent être dues aussi, à des anesthésies intracorporelles qui, en raison de forts systèmes de tensions dans la société contemporaine, inhibent des impulsions et se traduisent alors en images déterminées qui peuvent se projeter dans un état altéré de conscience.
Cela se complique lorsqu’il s’agit d’un petit disque qui va et vient, mais que soudain ce phénomène fait irruption avec une grande force, il fait irruption avec une grande Force illuminant d’une grande lumière le sujet qui observe. Et le sujet reste parfois aveugle. Il ne s’agit pas d’un petit disque. Toujours et quand nous accordons du crédit aux choses que les gens racontent. Il arrive aussi, dans le cas de ces puissantes lumières, que le sujet parle de connexion avec cette lumière et il semblerait alors, qu’il parle avec cette lumière et qu’il y ait une sorte de contact télépathique dans lequel la Lumière leur indique des choses, ou ils communiquent avec cette lumière. De même que Moïse en son temps se connectait avec la ronce ou Saül se connectait avec cette lumière qui le fit tomber de cheval. Nos contemporains qui voient des choses dans les cieux communiquent aussi parfois avec ces puissantes sources de lumière qui semblent leur donner des messages et en reçoivent et ainsi de suite. Déjà dans l’Iliade et dans d’autres textes, certains commentent qu’il leur parut mourir et sont revenus, ils ont eu l’impression d’abandonner leur corps et de s’orienter vers une lumière toujours plus vive sans pouvoir bien le raconter, ce n’est pas le cas de l’Iliade, mais de nos contemporains, sans pouvoir bien relater si c’était eux qui avançaient vers la lumière ou la lumière vers eux. Le fait est qu’ils rencontrent cette lumière, et cette lumière, a la propriété de se communiquer avec eux d’une certaine façon, de parler avec eux ou de leur donner des indications. Que les lumières parlent est un peu étrange comme vous le savez. Dons ces lumières donnent des indications et le contact s’établit. Et bien sûr, pour pouvoir raconter cette histoire, que ce soit pour avoir reçu un choc électrique dans le cœur ou autre chose du même style et alors ils sentent qu’ils reviennent ou s’éloignent de cette fameuse lumière avec laquelle ils étaient sur le point d’établir un intéressant contact. Mais bien sûr, s’ils établissaient ce contact, nous n’en serions pas informés (rires). Il est donc bon dans tous les cas qu’ils reviennent. (Rires).
Il existe de nombreuses explications à ces phénomènes, des explications du côté de l’anoxie, d’autres parlent de l’accumulation de dioxyde de carbone, il y a beaucoup d’explications sur ce phénomène de lumière. Mais pour nous, comme d’habitude, les explications qui sont aujourd’hui d’une sorte et demain d’une autre, ne nous intéressent pas beaucoup ; nous nous intéressons plutôt au système de registre, l’emplacement, le registre affectif que vit le sujet, et par-dessus tout autre chose, cette sorte de grand sens que cela semble donner au sujet et qui avec certitude change sa vie. La vie de Moïse change, la vie de Paul change, la vie des sujets qui croient avoir eu une forte expérience avec cette lumière et combien d’autres cas. Ceux qui croient être revenus de la mort, etc. ce changement de sens de sa propre vie du fait de l’expérience du contact avec un phénomène extraordinaire qui soudain fait irruption chez le sujet et que le sujet ne parvient pas à comprendre s’il s’agit d’un phénomène de perception ou de représentation. Mais dans ce cas, pour toutes les situations, ce phénomène semble d’une grande importance, et du fait de sa présence, il a l’aptitude de changer subitement le sens de la vie humaine.
Demain nous poursuivrons sur ce thème.

5° Jour.
Outre les états crépusculaires, nous distinguons aussi des états qui peuvent être occasionnels et des états que nous pourrions très bien appeler états supérieurs de conscience. Nous avons classé les états supérieurs de conscience depuis longtemps comme états d’extase, de transport extatique, et de reconnaissance. Celui qui s’introduit assez souvent dans l’expérience, le fait d’abord par les états les plus primaires, c’est-à-dire les états d’extase. Ces états ont habituellement des concomitances motrices, une certaine agitation, certains mouvements du corps. Les états de transport extatique ont plutôt des concomitances émotives, et souvent une joie intense envahit le sujet, un état ineffable l’envahit. Nous pourrions dire que les états supérieurs de reconnaissance sont plutôt intellectuels, dans le sens où le sujet croit un instant comprendre le “tout“. En un instant le sujet croit qu’il n’y a pas de différence entre ce qui est “lui “ et ce qu’est le “monde“, comme si le moi avait disparu. Notre ami maintenant ne se préoccupe pas de son n° d’identité, de son poids, de sa taille, de tout ce qui lui fait sentir qu’il est lui : “ moi maintenant j’ai un état intéressant“. Mais ce moi semble plutôt avoir complètement disparu, et lui est simplement présent, comme dans certaines représentations de certaines religions, une sorte de grand œil, et non un monsieur qui regarde derrière les trous de serrures. Ces états supérieurs de conscience peuvent avoir leurs concomitances motrices, émotives et intellectuelles.
Il est clair que sans arriver à des choses aussi extraordinaires : qui peut dire qu’il n’a pas une fois dans sa vie, sans rien faire de spécial, senti subitement une joie sans raison, une joie subite croissante étrange, mais une joie tout de même ? Qui peut dire qu’il ne lui est pas arrivé, comme ça, de se rendre compte que les choses sont telles qu’elles sont, mais de s’en rendre compte en profondeur et avec une grande signification ? Imaginez cela-même, et plus encore. (Rires).
Le travail avec l’expérience peut très bien se faire et se poursuivre dans le calme, être développée peu à peu, sans précipitation, sans inquiétude, parce qu’après tout nous ne cherchons pas ces expériences comme un but, mais comme des références capables d’orienter la conscience dans une direction croissante. Il ne s’agit pas de se lancer dans l’expérience pour une sorte d’hédonisme spirituel, pour avoir des expériences, disons pour manger plus de fraises. (Rires). Si vous voulez additionner les expériences vous trouvez n’importe quoi. Il ne semble pas qu’il s’agisse de ça… je vous le dis parce que notre époque est très portée sur la consommation, donc beaucoup d’expériences. (Rires). Il ne s’agit pas de ça, accumuler des expériences, -“ homme de beaucoup d’expérience“- mais d’obtenir quelques références capables d’orienter dans un sens intéressant. On peut travailler avec ces expériences lentement, sans grandes difficultés, comprenant que ce que l’on cherche au fond de tout c’est un sens plus qu’une expérience.
Et qu’est-ce que l’expérience ? C’est une sorte d’intermédiaire avec le sens.

Chacun son "paysage"


Quand je perçois le monde externe, quand je me développe quotidiennement en lui, non seulement je le constitue avec des représentations qui me permettent de m’y reconnaître et d’agir, mais je le constitue en plus avec des systèmes coprésents de représentation. Cette structuration que je fais avec le monde, je l’appelle “paysage“ et je constate que la perception du monde est toujours la reconnaissance et l’interprétation d’une réalité, en accord avec mon paysage. Ce monde que je prends pour la réalité même, c’est ma propre biographie en action et cette action de transformation que j’effectue dans le monde, c’est ma propre transformation. Et quand je parle de mon mode interne, je parle également de l’interprétation que j’en fais et de la transformation que j’effectue en lui. 

Silo: Psychologie de l’Image, 1990  

2016/08/31

Construire un paysage de formation différent


Ayant reçu une éducation dans un certain type de culture, il y a des choses qui nous échappent et que nous ne pouvons pénétrer. Ceci provient de la valorisation sociale et des codes que l'on porte en soi. Ceci est dû à une mémoire agissante, ce dont l'on se souvient. 

Il existe une mémoire profonde qui détermine la façon de voir le monde, c'est le "paysage de formation". L'individu ne pourra s'approcher de ces thèmes par pur volontarisme. Cela dépendra du moment historique dans lequel il est placé. 

Dans l'Antiquité, sur la place publique, on débattait du nombre d'anges pouvant tenir sur une tête d'épingle ; aujourd'hui l'on parle des entreprises. En 1970, on savait vers où l'on allait (en termes de dynamique historique) ; aujourd'hui, on ne sait pas où l'on va. C'est la mémoire agissante : elle se met dans tout, elle est liée aux valorisations et aux recherches et elle n'est pas "plane". 

Lorsque nous parlons de transformations profondes, nous faisons une sorte de substitution du paysage de formation, qui nous pousse et "provient d'avant" ; nous le substituons par quelque chose de plus conscient. Nous ne sommes pas conscients du monde dans lequel nous nous formons, et cependant ce paysage agit sur nous. Mais lorsque nous le substituons, nous remplaçons ce monde pour nous mouvoir selon les desseins que nous formons. 

C'est un long travail de formation de desseins, qui ont à voir avec les valorisations, les tons affectifs et les quêtes. C'est une chose sérieuse ; c'est sortir du paysage de formation donné et entrer dans un paysage construit par soi-même. Construire un "dessein", c'est construire un paysage de formation différent. 

De grandes modifications de paysages de formations se produisent également par des accidents sociaux. Parfois le monde change et c'est toute une position face au monde qui tombe, car apparaît soudain un paysage différent qui choque avec ce qui était établi. Par exemple, on peut observer toutes les transformations qui se sont produites lors du surgissement des grandes religions. 

Il y a là un grand changement dans le thème des paysages. Ou bien l'on change par action intentionnée, ou bien l'on change par accident. Il y a un conflit entre ce dont on se souvient et ce que l'on vit aujourd'hui. Il y a une grande différence et ce sont les charges affectives qui décident. Sans la charge affective, rien ne change, celle-ci étant profondément cénesthésique. Ce sont les sens profonds qui travaillent et leurs représentations sont profondes. 
Silo: 
Antécédents des Disciplines

2016/08/04

Le déplacement du moi. La suspension du moi.


 Pris de: Silo, Psychologie IV
La sibylle de Cumes, ne voulant être saisie de la terrible inspiration, se désespérait, se contorsionnait et criait : « Il arrive, le dieu arrive ! » Le Dieu Apollon était bien aise de descendre de son bois sacré jusqu'à l'antre profond où il s'emparait de la prophétesse.i
Dans ce cas et dans différentes cultures, l'entrée en transe a lieu par l’intériorisation du moi et par une exaltation émotive dans laquelle l'image d'un dieu, d'une force ou d'un esprit, qui prend et supplante la personnalité humaine, est coprésente. Dans les cas de transe, le sujet se met à disposition de cette inspiration qui lui permet de capter des réalités et d'exercer des pouvoirs inconnus de lui dans la vie quotidienne.ii Cependant, nous voyons souvent que le sujet oppose des résistances, allant même jusqu'à lutter avec l'esprit ou le dieu pour éviter le ravissement, dans des convulsions qui rappellent l'épilepsie. Néanmoins, cela fait partie d'un rituel affirmant le pouvoir de l'entité qui remplace la volonté normale.iii
En Amérique Centrale, le culte du vaudou haïtieniv nous permet de comprendre des techniques de transe réalisées par des danses et renforcées par des potions à base de poisson toxiquev. Au Brésil, la Macumbavi nous montre d'autres variantes mystiques de transe obtenue par le biais de danses accompagnées de boisson alcoolisée et de prise de tabac.
Les cas de transe ne sont pas tous aussi spectaculaires que ceux que nous venons de citer. Quelques techniques indiennes, celles des "yantras", permettent d'arriver à la transe par l'intériorisation de triangles de plus en plus petits disposés en une figure géométrique complexe qui s'achève parfois en un point central. Par la technique des "mantras", par répétition d'un son profond proféré par le sujet, on parvient également à l'immersion en soi. De nombreux pratiquants occidentaux n'ont aucun succès dans ces contemplations visuelles ou auditives, parce qu'ils ne se sont pas préparés affectivement et se contentent de répéter des figures ou des sons sans les intérioriser avec la force émotive ou dévotionnelle nécessaire pour que la représentation cénesthésique accompagne le resserrement de l'attention. Ces exercices sont répétés autant de fois que nécessaire, jusqu'à ce que le pratiquant expérimente la substitution de sa personnalité et que l'inspiration se réalise pleinement.
Le déplacement du moi et la substitution par d'autres entités peuvent être vérifiés dans les cultes mentionnés et même dans les courants spirites les plus récents. Dans ceux-ci, le "médium" en transe est saisi par une entité spirituelle qui se substitue à sa personnalité habituelle.
Dans la transe hypnotique, il se produit des phénomènes assez semblables : le sujet intériorise profondément les suggestions de l'opérateur, amenant la représentation de la voix au "lieu" occupé normalement par le moi habituel. Bien sûr, pour être "pris" par l'opérateur, le sujet doit se mettre dans un état réceptif de "foi" et suivre sans douter les instructions reçues.vii Ce point révèle une caractéristique importante de la conscience. Tandis que se réalise une opération de veille attentive, des rêveries apparaissent qui passent parfois inaperçues et qui finissent parfois par dévier la direction des actes mentaux en cours. Le champ de coprésence agit toujours, même si les objets de conscience présents sont seuls manifestes dans le focus attentionnel. L'énorme quantité d'actes automatiques réalisés en veille témoigne de cette aptitude de la conscience à réaliser différents travaux simultanément. Certes, la dissociation peut atteindre des niveaux pathologiques mais elle peut aussi se manifester avec force dans presque tous les phénomènes d'inspiration. En outre, le déplacement du moi peut ne pas être complet dans la transe du spiritisme ou de l'hypnose comme on en voit un exemple dans ce qu'on appelle "l'écriture automatique" qui s'effectue sans difficultés, même si l'attention du sujet est dirigée alors sur une conversation ou sur d'autres activités. Nous trouvons fréquemment cette dissociation dans la "cryptographie", dans laquelle la main dessine tandis que le sujet est engagé de manière très concentrée dans une conversation téléphonique.
En avançant dans l'immersion en soi, on peut arriver à un point dans lequel les automatismes sont dépassés, et il ne s'agit plus alors de déplacements ni de substitutions du moi. Un bon exemple en est la pratique de "la prière du cœur" réalisée par les moines orthodoxes du mont Athos.viii La recommandation de Èvagre Le Pontique s'avère très appropriée pour éluder les représentations, du moins celles des sens externes : « N'imagine pas la divinité en toi quand tu pries, ne permets pas que ton intelligence accepte l'impression d'une quelconque forme ; reste immatériel et tu comprendras. »ix En substance, l'oraison fonctionne ainsi : le pratiquant, en retraite silencieuse, se concentre sur son cœur ; adoptant une phrase courte, il inhale doucement de l’air qu’il apporte à son cœur avec cette phrase. Quand il est au bout de l'aspiration, il "pressionne" pour qu'elle pénètre plus à l'intérieur. Il exhale ensuite tout doucement l'air vicié sans cesser de porter attention à son cœur. Cette pratique était répétée par les moines plusieurs fois par jour jusqu'à ce qu'apparaissent certains indicateurs de progrès comme "l'illumination" (de l'espace de représentation). Pour être précis, nous devons admettre le passage par l'état de transe à un certain moment des répétitions des prières utilisées. Le passage par la transe n'est pas très différent de celui qui a lieu dans les travaux avec les yantras ou mantras, mais comme dans la pratique de "la prière du cœur" il n'y a pas l'intention d'être "pris" par des entités qui remplacent la propre personnalité, le pratiquant finit par dépasser la transe et "suspendre" l'activité du moi. En ce sens, dans les pratiques du Yoga, on peut également passer par différents types et niveaux de transe, mais on doit tenir compte de ce que nous dit Patanjali dans le Sutra II du Livre I : "Le Yoga aspire à la libération des perturbations du mental".x La direction menée par ce système de pratiques va vers le dépassement du moi habituel, des transes et des dissociations. Dans l'état avancé d'immersion en soi, hors de toute transe et en pleine veille, il peut se produire cette "suspension du moi", de laquelle nous avons suffisamment d'indicateurs. Il est évident que depuis le début de sa pratique, le sujet s'oriente vers la disparition de ses "bruits" de conscience en amortissant les perceptions externes, les représentations, les souvenirs et les expectatives. Certaines pratiques du Yoga permettent de tranquilliser le mental et de placer le moi en état de suspension durant un bref instant.xi

i Virgile, qui fait une description fantastique de l'anecdote de Cumes, disposait sûrement d'une information plus que suffisante sur les procédés des sibylles tout au long de l'histoire de la Grèce et de Rome. Quoi qu'il en soit, dans le livre VI de l'Énéide, la sibylle dit : « L’Oracle, il faut tenter, voici, voici le Dieu ! Comme elle eut dit ces mots au seuil de la Caverne, Un changement subit au visage on discerne, Le cœur bout de fureur dans le sein oppressé, La couleur se ternit, le poil est hérissé. Plus grande elle paraît, et sa voix plus qu’humaine, De l’estomac enflé pantèle et sort à peine, Vrais signes que le Dieu, près de soi l’attirant, Va de son feu divin ses veines inspirant. » (Ndt : VIRGILE, Énéide, Livre VI. Traduction de Marie de Jars, Demoiselle de Gournay, in Les Advis ou les présents de la demoiselle de Gournay, 1641.)
ii ELIADE, M., Le chamanisme et les techniques d'extase, Paris, Éd. Payot, 1951. L'auteur passe notamment en revue les différentes formes de transe chamanique en Asie Centrale et Septentrionale, au Tibet et en Chine, chez les anciens Indoeuropéens, en Amérique du Nord et du Sud, dans le Sud-Est asiatique et en Océanie.
iii Les anciens appelaient l'épilepsie la "maladie divine". Ils croyaient voir dans les convulsions produites par ce mal une lutte dans laquelle le sujet se défendait de l'altération qui lui arrivait. Les dieux annonçaient ainsi leur arrivée apportant au sujet une "aura" qui le prévenait. Après "l'attaque", le sujet était supposé être inspiré pour prophétiser. Il est pertinent qu'on ait prétendu qu'Alexandre, César et même Napoléon souffraient du "mal divin" car, après tout, ils étaient des hommes de lutte.
iv Dérivé du Togo et du Bénin.
v TOUSSAINT, R., De la mort à la vie : essai sur le phénomène de la zombification à Haïti,Ontario, Éd. Ife, 1993.
vi Dérivé du peuple Yoruba du Togo, du Bénin et du Nigéria, mais aussi d'influences sénégalaises et d'Afrique Occidentale en général.
vii Il est évident que du "magnétisme animal" de Mesmer et de Puységur, à l'hypnose moderne qui commença avec J. Braid, on a pu éliminer tout un attirail totalement accessoire.
viii La tradition de la "prière du cœur" remonte au XIVe siècle au Mont Athos en Grèce. En 1782, elle s'étendit hors des monastères avec la publication de la Philocalie, du moine grec Nicodème l'Hagiorite. La Philocalie fut éditée peu après en russe par Paisij Velitchkovsky.
ix Évagre le Pontique, des "Pères du Désert", écrivit ses apophtegmes au IVe siècle. Il est considéré comme l'un des précurseurs des pratiques du Mont Athos.
x Les aphorismes du Yoga ou Yoga Sutra, rassemblés par Patanjali au IIe siècle est le premier livre de Yoga ayant intégralement conservé ses 195 brèves et magistrales sentences.
xi Techniques du Yoga. Lire également ELIADE M., Le Yoga. Immortalité et liberté.

L'accès aux niveaux profonds


Source: Silo: Psychologie IV

La substitution du moi par une force, un esprit, un dieu ou la personnalité d'un envoûteur ou d'un hypnotiseur fut chose courante dans l'histoire. Le fait de suspendre le moi en évitant toute substitution, est également bien connu, quoique moins courant, notamment dans un certain type de yoga et dans quelques pratiques mystiques avancées. Cela dit, si quelqu'un pouvait suspendre et ensuite faire disparaître le moi, il perdrait tout contrôle structurel de la temporalité et de la spacialité de ses processus mentaux. Il se retrouverait dans une situation antérieure à celle de l'apprentissage de ses premiers pas dans la petite enfance. Ses mécanismes de conscience ne seraient plus en communication ni coordonnés. Il ne pourrait faire appel à sa mémoire. Il ne pourrait se mettre en relation avec le monde ni ne pourrait avancer dans son apprentissage. Nous ne serions pas simplement en présence d'un moi dissocié sous certains aspects, comme c'est le cas dans certains déréglements mentaux, mais nous serions face à quelqu'un dans un état semblable au sommeil végétatif. Par conséquent, ces sottises relatives à "la suppression du moi" ou à "la suppression de l'ego" ne sont pas possibles dans la vie quotidienne. Il est toutefois possible de parvenir à la situation mentale de suppression du moi, non pas dans la vie quotidienne mais dans des conditions déterminées qui partent de la suspension du moi.
L'entrée dans les états profonds se produit depuis la suspension du moi. Depuis cette suspension, des registres significatifs de "conscience lucide" et de compréhension de ses propres limitations mentales se produisent, ce qui constitue déjà une grande avancée. Dans ce passage, on doit tenir compte de certaines conditions incontournables :
1 – Que le pratiquant ait précisé clairement sa Finalité, ce qu’il désire obtenir comme objectif final de son travail.
2 – Qu'il dispose de d'énergie psychophysique en quantité suffisante pour maintenir son attention immergée en soi et concentrée sur la suspension du moi.
3 – Qu'il puisse continuer sans solution de continuité dans l'approfondissement de l'état de suspension jusqu'à ce que les références spatio-temporelles disparaissent.
La Finalité correspond à la direction de tout le processus mais sans que cela occupe tout le centre attentionnel. C’est à dire que la Finalité doit être gravée avec suffisamment de charge affective pour opérer de façon coprésente tandis que l'attention est occupée dans la suspension du moi et dans les pas suivants. Cette préparation conditionne tout le travail postérieur. Quant à l'énergie psychophysique nécessaire pour le maintien de l'attention dans un niveau intéressant de concentration, la principale impulsion provient de l'intérêt qui fait partie de la Finalité. Si l'on constate un manque de puissance ou de permanence, il faudra réviser la préparation qui a été faite de la Finalité. On a besoin d'une conscience débarrassée de fatigue et d’une éducation minimum à la concentration attentionnelle sur un seul objet. Continuer dans l'approfondissement de la suspension jusqu'à parvenir au registre de "vide" signifie que rien ne doit apparaître comme représentation, ni comme registre de sensations internes. Il ne peut, ni ne doit y avoir de registre de cette situation mentale. La position ou les incommodités du corps déclencheront des impulsions qui produiront le retour à la situation mentale de suspension ou à la veille habituelle.
On ne peut rien dire de ce "vide". La récupération des significations inspiratrices, des sens profonds qui sont au-delà des mécanismes et des configurations de conscience, est réalisée depuis le moi quand celui-ci reprend son travail normal de veille. Nous parlons de "traductions" d'impulsions profondes, impulsions qui arrivent à mon intracorps durant le sommeil profond, ou d'impulsions qui parviennent à ma conscience dans une sorte de perception différente de celles connues au moment du "retour" à la veille normale. Nous ne pouvons pas parler de ce monde parce que nous n'avons pas de registre durant l'élimination du moi ; nous disposons seulement des "réminiscences" de ce monde, ainsi que Platon nous le commente dans ses mythes.

La "conscience inspirée"


Source: Silo, psychologie IV

La conscience inspirée est une structure globale, capable d'accéder à des intuitions immédiates de la réalité. Par ailleurs, elle est apte à organiser des ensembles d'expériences et d'expressions, transmises habituellement à travers la philosophie, la science, l'art et la mystique. 

Pour rester dans le style de notre développement, nous pourrions nous demander de façon quelque peu scolaire et répondre sur le même ton : 

Est-ce que la conscience inspirée est un état d'altération ou un état d'immersion en soi ? Est-ce un état perturbé ? Est-ce une rupture de la normalité ? Est-ce une introjection ou une projection extrême ? Il est certain que la "conscience inspirée" est plus qu’un état, c’est une structure globale qui passe par différents états et qui peut se manifester dans différents niveaux. La conscience inspirée perturbe le fonctionnement de la conscience habituelle et rompt la mécanique des niveaux. Enfin, elle est davantage qu'une extrême introjection ou qu'une extrême projection car elle se sert des deux en alternance, et ce en regard de sa finalité. Celle-ci est manifeste quand la conscience inspirée répond à une intention présente, ou dans certains cas, lorsqu'elle répond à une intention non présente mais qui agit de manière coprésente.

En philosophie, les rêves inspirateurs et les inspirations soudaines sont peu nombreux mais quelques penseurs appliquent l'intuition directe pour appréhender les réalités immédiates de la pensée, sans l'intermédiaire de la pensée déductive ou discursive. Il ne s'agit pas des courants "intuitionnistes" en logique et en mathématiques mais de penseurs qui privilégient l'intuition directe, comme Platon avec les Idées, Descartes avec La pensée claire et distincte qui écarte le piège des sens, et Husserl avec ses descriptions des Noesis, "dans la suspension du jugement" (Épochè).i

Dans l'histoire de la science, on recense quelques exemples d'inspiration fulgurante qui provoquèrent d'importantes avancées. Le cas le plus connu, bien que sujet à caution, est celui de la fameuse "chute de la pomme" de Newton.ii Même si cela s'est réellement déroulé ainsi, nous devrions reconnaître, quoi qu'il en soit, que l'inspiration subite fut motivée par une recherche lente mais intense, dirigée vers le système cosmique et la gravité des corps. Nous pouvons citer d'autres exemples, comme ce qui est arrivé au chimiste Kekulé.iii Celui-ci a rêvé une nuit de plusieurs serpents entrelacés qui furent sa source d'inspiration pour développer ses traités sur la chimie organique. Il est certain que sa constante préoccupation de mettre en formules les liens entre les substances avait continué d'agir même dans le niveau de sommeil paradoxal pour emprunter la voie de la représentation allégorique.

On connaît de nombreux exemples de rêves inspirateurs dans l'art. Mary Shelley avait déclaré à ses amis qu'elle sentait cette « …vide incapacité de pouvoir inventer, ce qui est le plus grand malheur d'un auteur. »iv Mais cette nuit-là, elle vit dans ses rêves l'être horrible qui inspira sa nouvelle "Frankenstein ou le Prométhée moderne". Il se produisit la même chose pour R.L. Stevenson lorsqu'il entreprit, à partir d'un rêve, son récit fantastique "Le cas étrange du Dr Jekyll et de Mr Hyde".v Dans le domaine des arts, les inspirations de veille des écrivains et des poètes sont bien évidemment les plus connues, mais nous sommes parvenus par d'autres biais à connaître aussi les inspirations des peintres. Kandinsky, dans "le spirituel dans l'art" décrit la nécessité intérieure qui s'exprime en tant qu’inspiration de l'œuvre artistique.vi Des artistes plasticiens, écrivains, musiciens, danseurs et acteurs ont cherché l'inspiration en essayant de se placer dans des espaces physiques et mentaux non habituels. Les différents styles artistiques qui font écho aux conditions de l'époque ne sont pas simplement des modes ou des façons de générer, saisir et interpréter l'œuvre artistique mais des manières de "se prédisposer" pour recevoir et donner des impacts sensoriels. Cette "disposition" est ce qui module la sensibilité individuelle et collective et par conséquent, elle est le pré-dialogue qui permet d'établir la communication esthétique.vii



Il y a dans la mystique de vastes domaines d'inspiration. Précisons que lorsque nous parlons de "mystique" en général, nous faisons référence aux phénomènes psychiques "d'expérience du sacré" dans ses diverses profondeurs et expressions. Il existe une abondante littérature qui relate des rêvesviii, des "visions" en demi-sommeilix et des intuitions en veillex de personnages référents dans les religions, les sectes et les groupes mystiques.

Les états anormaux abondent également (dans ce domaine) ainsi que les cas extraordinaires d'expérience du sacré que nous pouvons classer comme suit : l'extase : situations mentales dans lesquelles le sujet reste comme suspendu, plongé à l’intérieur de lui-même, absorbé et ébloui ; le ravissement, caractérisé par une agitation émotive et motrice incontrôlable dans laquelle le sujet se sent transporté, emporté hors de lui, vers d'autres paysages du mental, d'autres temps, d'autres espaces ; enfin la reconnaissance dans laquelle le sujet croit comprendre le Tout en un instant. 

À ce sujet, nous considérons la conscience inspirée dans son expérience du sacré, car la conscience est variable dans sa façon d'être face aux phénomènes extraordinaires, même si par extension, on a aussi attribué ces fonctionnements mentaux aux ravissements du poète ou du musicien, cas dans lesquels "le sacré" peut ne pas être présent.

Nous avons cité des structures de conscience que nous avons appelées "conscience inspirée" et nous avons relevé leur présence dans les vastes domaines que sont la philosophie, la science, l’art et la mystique. Mais la conscience inspirée apparaît aussi dans la vie quotidienne par les intuitions ou les inspirations de la veille, du demi-sommeil ou du sommeil paradoxal. Les exemples d'inspiration du quotidien sont ceux de l’état amoureux, des compréhensions subites de situations complexes, de la résolution instantanée de problèmes qui perturbaient le sujet depuis longtemps. Ces quelques cas mentionnés ne garantissent cependant pas la justesse, la vérité ou la coïncidence entre le phénomène et l’objet, même si les registres de "certitude" qui accompagnent ces états sont de grande importance. 

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i Platon et Aristote connaissaient les différences entre le penser intuitif et le penser discursif, Platon privilégiant le premier. Pour lui, les Idées du Bon et du Beau dénotent la contemplation directe et sont réelles, tandis que les choses bonnes ou belles dérivent de ces Idées et ne possèdent pas la même réalité immédiate. Nous devons à Descartes, ce grand apport de la pensée qui pense sur elle-même sans intermédiaire et à Husserl le contact direct avec les noèses, les actes du penser et les noèmes, les objets liés intentionnellement aux actes du penser.

ii Isaac Newton, en 1666 à Woolsthorpe, Royaume-Uni.
iii Auguste Kekulé établit en 1865 à Bonn, Allemagne, la théorie de la quadrivalence du carbone et la formule hexagonale du benzène.
iv Mary Godwin. L'histoire se trouve dans les notes que Polidori écrivit dans son journal le 18 juin 1816 à la villa Diodati, à côté du lac Léman, Suisse.
v R.L. Balfour, dans les îles Samoa en 1886.
vi Wassily Kandinsky, en 1911 à Moscou.
vii SILO, Op. Cit. vol I., Conférence sur les conditions du dialogue donnée à l'Académie des Sciences de Moscou en 1999.
viii IV Brihadaranyaka Upanishad. "Quand l'esprit humain s'est retiré au repos, il retient avec lui les matériaux de ce monde dans lequel sont contenues toutes les choses, et alors il crée et détruit sa propre gloire et irradiation, car l'Esprit brille de sa propre lumière".
ix La Bible. Da-niyye-1. X, 7, version espagnole de Dujovne Kostantinovsky. "Et moi seul, Da Niyye-1, je vis la vision ; car les hommes qui étaient avec moi ne la virent pas, mais sur eux est tombée une grande terreur et ils coururent se cacher".
x L'Avesta. Les Gothas. Yasna XLV, 2-3. "Je proclamerai ce premier enseignement au Monde. Enseignement que m'a révélé l'Omniscient Ahura Mazda. Je parlerai des deux premiers Esprits du monde, et du bon qui dit au mauvais : Ni nos pensées, ni nos commandements, ni notre intelligence, ni nos croyances, ni nos œuvres, ni notre conscience, ni nos âmes ne sont d’accord en rien".

2015/11/30

Le Dessein

Source: Monographie "Le style de vie". Maxi Elegido, Août 2011. 
melegido@gmail.com
Parcs d'Étude et de Réflexion - Punta de Vacas.

Qu'est-ce que je veux faire de ma vie ? Qui suis-je ? Vers où vais-je ? 1
Ces questions, je me les pose dans les moments importants de ma vie, avant d’affronter certaines situations à conséquences. Dans ces moments de choix, il est fréquent que le calcul de bénéfices apparents s'oppose à la direction de ma vie. Ce sont des choix qui affectent la construction de ma vie et qui vont au-delà des échafaudages provisoires.
C’est dans ces instants-là que le Dessein s'exprime le mieux. Si je choisis le simple pragmatisme pour prendre ma décision, j’expérimente une trahison interne, mon cœur se contracte et s'anesthésie. Si j'opte pour donner sens à mon action, je m'émeus et la lucidité augmente.
Mais le Dessein ne s'exprime pas seulement dans les moments de possible déviation, il opère de façon coprésente en guidant mon action. Cela ressemble à ces moments où, en me rappelant un objectif fixé, je me demande si parmi les actions réalisées en ce sens, l'une d’elles n’avait pas mis en danger sa réalisation. Le Dessein est une direction et un objectif.2
Comment ne pas essayer de préciser cette signification si importante pour pouvoir faire appel à elle en dehors des situations extrêmes ?
Comment faire pour graver les registres que je veux préserver pour pouvoir faire appel à eux quand j'en ai besoin ? Le travail avec les aphorismes m'a beaucoup aidé.3
De la même façon que l’on cherche un aphorisme sur la base d'expériences significatives, j’ai trouvé la façon de formuler le Dessein en regardant comment il s'était exprimé dans les moments essentiels de ma vie.
Alors, j'ai cherché dans mes expériences vitales les plus opposées. J’ai d’abord examiné celles qui m’ont laissé un registre de trahison enversmoi-même car je me suis éloigné de la direction que je voulais profondément suivre. Ensuite, j’ai révisé les expériences qui m'ont impulsé vers le développement, la croissance, le réveil, donc celles qui ont été valables et qui ont résisté au passage du temps.
Le moment difficile à retrouver est le premier où j'ai laissé de côté le Dessein, moment biographique de sortie du monde. C'est le moment où j'ai "arrêté de croire", où je me suis trahi, où j’ai été fasciné par quelque chose que j'ai voulu obtenir, en reléguant au second plan ou même au troisième plan cette chose importante en laquelle je croyais.
Ce en quoi l’on arrête de croire est un condensé de différentes choses qui gravitent autour d'un même registre profond : une religiosité ou une conscience morale, ou la croyance en un type d'Être Humain, ou de société, etc. Il ne s’agit pas simplement de la substitution d'un rêve par un autre, mais de la perte du contact avec le Sacré.4
Ce moment me permet de me rendre compte que je dévie de ce qui est important et, par conséquent, de me rendre compte aussi de ce qui est vraiment important.

Au pôle opposé se trouvent les moments où prime la direction essentielle de ma vie. À quel moment est-ce que je me suis mis d'accord avec d'autres ? À quel moment est-ce que j’ai pris un engagement et persévéré dans mon action ? Qu'est-ce qui a pesé pour commencer à travailler une Discipline ? Et plus récemment, qu'est-ce qui a pesé pour mon entrée dans l'École ? En quelles occasions ont surgi des peurs que j'ai laissées de côté, des pertes apparentes qui ensuite se sont révélées être des bénéfices plus importants, bien que moins tangibles ?
Ce sont des moments de nécessité, d'engagement, ayant des conséquences et, dans ces moments-là, j'ai registré clairement le Dessein.
Avec cela je veux simplement exprimer que la définition et la précision du Dessein ne furent pas une construction de quelque chose d'inexistant, mais plutôt une révélation et une formulation simple me permettant de faire appel à un registre que j'ai déjà expérimenté en différentes occasions.
Cette formulation diffère d’autres formulations habituelles car elle n’est pas seulement rationnelle, l'émotion y prime et elle inclut la tête.
C'est une sorte de prière qui m'émeut, qui met en contact avec la direction essentielle de ma vie, avec le Sens de ma Vie. Et je l'expérimente essentiellement au fond de mon cœur. Il ne s’agit pas d’un battement de cœur accéléré, c'est une distension profonde, radieuse, lumineuse, qui grandit et relie mon être.
Curieusement, ce Dessein ne heurte pas et ne s'oppose pas aux autres, tout au contraire, il les inclut. Par son essence, il me connecte et m'ouvre aux autres.
C’est seulement grâce au Dessein que je peux ressentir autrui, que je peux me mettre vraiment à sa place, et ce, non pas comme une gymnastique mentale salutaire qui entraîne mes habilités mentales et qui, dans la majorité des cas, est loin du ressentir de l'autre.
Une fois le Dessein fixé et que je peux faire appel à lui, il ne demeure pas statique, arrêté, il commence plutôt à processer et à opérer, comme nous le verrons par la suite, dans le chapitre sur l'Ascèse et dans celui sur le Style de Vie.
Le Dessein se modifie aussi dans son expression, il tend à souligner des aspects que, par tendance, on aurait négligés. Ainsi une personne studieuse avec peu d'activités sociales tend à compléter son aspiration par un sentiment davantage orienté vers le monde et, à l’inverse, un militant aspire à une plus grande cohérence.
Le Dessein tend à se fixer dans sa formulation alors que sa signification peut être projetée dans le monde social ou introjectée vers le Profond.
Dans tous les cas, je prends comme indicateur que le Dessein est fixé quand je sens une nouvelle étape commencer, quand il me conduit vers un espace sans solution de continuité.

1.       1. Silo, Le Chemin, Le Message de Silo, Éditions Références, Paris, 2010, p.148
2.       2 Pia Figueroa, Étude sur Phidias, pp.29-30, www.parclabelleidee.fr "Dans l'exemple d'une statue comme celle de la déesse Athéna Parthénos sculptée par Phidias et commandée par Périclès, et à qui les Athéniens rendaient un culte, la cause matérielle est le marbre et l'or desquels elle est faite ; la cause formelle est la forme de la statue qui préexistait dans l'esprit du sculpteur Phidias quand il projeta cette œuvre ; la cause efficiente est ce même sculpteur qui agit comme agent; et la cause finale, le culte que la cité rend à la déesse protectrice, culte auquel était destinée la statue (et qui détermine à la fois ses dimensions considérables et le port hiératique et solennel de la figure d'Athéna réalisée dans les meilleurs matériaux). … Et la cause finale est celle en raison de laquelle se fait quelque chose et se mettent en action toutes les autres causes. C'est le bien de la chose. C'est pourquoi Aristote dit que la cause finale est la cause des causes."
3.       3 Le Dessein change de formulation dans sa forme et ainsi il tend à se préciser dans son contenu, mais la signification, elle, ne varie pas. Par exemple, un enfant pourrait faire une oraison comme celle-ci : "Jésus de ma vie, tu es un enfant comme moi, c’est pour cela que je t’aime tant et que je t’offre mon cœur" ; et par la suite, en tant qu'adulte, il peut la formuler autrement, comme Jean de la Croix qui parle de l'épouse (son âme) qui se prépare à s'offrir à son époux (Dieu).

4.       4 Karen Rohn, Root antecedents of the Energetical Discipline and Ascesis in the Occident, Asia Minor, Crete and Aegean Islands (Antécédents des racines de la Discipline de l’Énergie et l’Ascèse en Occident : Asie mineure, Crète et les Iles Grecques), p.54 www.parquemanantiales.org "Dans la cérémonie de hiérogamie, il y avait un Dessein transpersonnel ayant pour base la croyance et le désir que l’énergie de cet acte soit projetée et démultipliée en faveur du bien-être de tous les êtres vivants, afin d’assurer la continuité de l’Univers. La croyance profonde était, en effet, que cette énergie représentait la source, le mystère et le potentiel de la dynamique de l’univers, la génération de la vie et la réponse permettant d’assurer la croissance et la continuité."