2020/03/29

Le Belvédère des étoiles (fragment)

Dehors, il y a le mandarinier en fleurs. En entrant, je trouve un escalier qui monte en spirale. C'est une pagode de plusieurs étages. Au pied de l'escalier, une cloche en fer. Je la frappe et le toit s'ouvre. Des moines, peut-être chinois, se promènent dans les cours et les jardins. Je ne peux pas vraiment dire avec certitude qu'ils sont chinois ; bien que leurs yeux soient petits et bridés, leurs visages sont bruns et bronzés. Ils pourraient être Népalais. Ils se déplacent d'un pas lent, comme quelqu'un qui profite de marcher pour réfléchir et méditer. Je monte le grand escalier en bois poli et travaillé. Je remarque dans les détails le soin mis par ceux qui, à l'époque, ont donné le meilleur d’eux pour construire le temple. Je porte une longue robe de soie, finement brodée et de belles pantoufles couvrent mes pieds. Je croise un moine qui descend lentement, son regard se pose sur chaque marche. Je le salue en chinois parfait et il me répond d'un doux mouvement de la tête. Je continue à monter et en chemin, je trouve d'autres moines qui descendent. Je répète le salut à chacun. Ils me regardent à peine et le contact se fait au travers de minuscules révérences qui n'interrompent pas leurs méditations silencieuses. Je continue à monter lentement. À mesure que j'avance par la spirale, j'observe attentivement et avec une certaine excitation ce monde de silences et de murmures autour de moi. À chaque marche, il y a des points de vue depuis lesquels je peux voir les forêts de la région. Je poursuis jusqu'en haut de la pagode où se termine l'escalier, devant de simples et beaux vitraux qui représentent des paysages lumineux, pleins de vie et de couleurs. De cet endroit, j'ai une vue imprenable sur toute la vallée, et je reconnais là-bas en bas les flèches et les coupoles des églises et  des temples que j'ai un jour visités.

Je sors par une petite ouverture sur le toit de la pagode. Je pourrais facilement perdre l'équilibre, aussi je m'appuie sur une canne qui se transforme en parapluie. Quand je l'ouvre, il me soulève dans les airs. Comment tient-il en l'air vu sa petite structure ? Bien soutenu, je commence à regarder autour de moi et je vois d'autres personnes voyageant dans les airs avec leurs propres parapluies. C'est déjà assez inhabituel, mais le plus surprenant est que les voyageurs-parapluies ne sont pas seuls. Il y a un trafic de toute sorte dans cet espace aérien. À mes côtés, je vois beaucoup d'oies. Je suis fasciné par leur battement d'ailes large et synchronisé. Comme si jusqu'ici les surprises n'avaient pas été assez nombreuses, dans un mouvement rapide et sûr, l'une d'elle m'attrape et, m'allongeant sur ses jambes, me transporte vers le haut. La surprise ne dure que quelques secondes, substituée par la sensation extraordinaire de nous envoler merveilleusement bien, en montant beaucoup plus haut que les autres. Elle m'enveloppe dans son ventre et de là, je peux voir au loin, embrassant du regard la quasi-totalité de la courbure de la Terre.

Le vol est doux, silencieux, chaud. Maintenant installé sur son dos tout doux, je me sens aimé et protégé. Dans la nuit étoilée se détache une lune immense. Nous volons ainsi pendant plusieurs heures jusqu'au Belvédère des Étoiles d'où je descends du dos de l'oie. Elle se transforme en un homme en costume à plumes et reste à ma droite. Presque sans le regarder, je comprends immédiatement qu'il est le Guide. Côte à côte, en silence, nous contemplons les étoiles. Après un temps que je ne saurais préciser, d'une voix calme et ferme, il me dit de chercher mon étoile. Sa question me surprend parce que je ne sais pas quelle pourrait être mon étoile. Je regarde vers la mer de lumières qui s'étend du sommet dans toutes les directions, essayant de savoir laquelle de ces lucioles du ciel pourraient être la mienne. Je ne peux même pas imaginer que l'une d'elle m'appartienne et habitué au concept du "mien" comme quelque chose qui m'appartient, je ne parviens pas à saisir qu'il fait aussi référence à celle à laquelle moi j'appartiens. Avec plus d'insistance et de fermeté, il dit :
- Dis-moi quelle est ton étoile.
- Je ne sais pas, je réponds.
La situation commence à me désespérer. Je n'ai vraiment pas la moindre idée de quelle est mon étoile et je ne sais pas non plus comment résoudre ce qui me semble plus une énigme qu'une information oubliée. Alors que j'essaie de résoudre la question, il me répète encore une fois :
- Dis-moi quelle est ton étoile !
Et élevant la voix avec gentillesse mais sans concession, il répète :
- Ton étoile, montre-la-moi !
Je suis désespéré.
- Je ne sais pas laquelle ! Je ne sais pas !
Avec gentillesse, il élève la main et, la dirigeant vers le haut, il tend un doigt
indiquant une partie du ciel. Je monte sur le doigt qui avance à grande vitesse, parcourant une distance énorme en quelques secondes. Je pars pour ce qui semble être un voyage au hasard vers la voûte des lumières. Cependant, nous nous dirigeons vers une étoile particulière près de laquelle nous arrivons en quelques secondes. Comprenant son aide, je dis :
- C'est celle-là mon étoile. Il rit et la traverse avec son doigt comme s'il ne s'agissait que d'une illusion
optique. Elle est plate, comme une feuille de papier blanc. Alors le doigt se lance vers le haut à une vitesse impressionnante. Il traverse vertigineusement les étoiles et les galaxies. Il continue de monter, passant les soleils et les planètes, à travers des nébuleuses, laisse derrière elles des agglomérations stellaires. Il grimpe des distances inimaginables jusqu'à ce qu'il atteigne la fin de l'espace. Tout est noir et l'on dirait qu'il n'y a plus rien. Mais ça continue de monter. Nous traversons la zone d'obscurité totale et au bout d'un moment, surpris, je vois de nouvelles lumières.

Nous approchons d'une zone de luminosité diffuse et je sais immédiatement que c'est mon étoile. En fait ce n'est pas exactement une étoile mais un petit nuage blanc, avec beaucoup de lumière. Je sais que c'est ma place, ma maison, mon origine et mon destin. Je suis bouleversé et je me mets à pleurer. Je ressens une plénitude que je n'avais jamais ressentie auparavant dans ma vie. C'est un mélange d'émotion, de joie profonde, de gratitude. Je reste longtemps ainsi à contempler, à remercier.

Quand je suis sur le point de commencer le retour, j'observe au-dessus de mon étoile, légèrement vers la gauche, un petit trou dans le fond noir à travers lequel on peut voir de l'autre côté. Je ne peux pas dire à quelle distance il se trouve mais je le regarde d'où je suis et curieusement, je peux voir à travers. De l'autre côté, il y a "tout de nouveau". Il y a des Univers complets, des mondes entiers. Ce qui est curieux, c'est que je ne les vois pas mais que je les sens. C'est le Tout. Je suis émerveillé.
- Qu'est-ce que c'est ?, je demande au Guide.
- C'est le Passage par lequel on naît.
- Je veux passer par là.
- Pas encore. Pas encore. Tu ne peux pas comme ça.
- Pourquoi ?
- Par là on passe, mais on ne revient pas, on passe pour toujours. C'est la matrice à travers laquelle on naît vraiment, bien que ce soit ce que vous appelez la mort.
Alors je ressens quelque chose de si incroyablement beau que rien ne lui est comparable. C'est la plus grande commotion que j'aie jamais ressentie. C'est si profond que je ne peux le décrire.
Tout est bien, tout est très bien.
Quelque chose se relâche dans la partie la plus profonde de mon Être.

Maintenant je sais que la mort n'existe pas. La certitude est absolue, c'est l'expérience indubitable. Il n'y a pas de mort. Ce que j'ai cru toute ma vie n'existe pas. Le Passage est là, devant moi, et c'est par là que je passerai. Tout va bien, tout va bien.Le doigt me ramène. Sans hâte, il descend et nous traversons l'étoile plate. Nous atteignons le Belvédère. Je remercie le Guide. L'oie me prend sur son dos et nous sommes déjà dans la pagode. J'entre par la porte haute et je commence à descendre les escaliers sans faire de bruit. Les moines chantent. Je vais avec l'un d'eux vers la cloche et quand nous y arrivons, il dit qu'il m'aidera et posément, il ajoute :
- À partir de maintenant, chaque fois que tu voudras voir ton étoile et aller devant le Passage, tu pourras le faire, en sonnant la cloche.
Je m'approche de la cloche, je la frappe et le toit de la pagode s'ouvre doucement.
Tout en haut, je vois le Passage.
Le moine répète encore une fois :
- Quand tu sonneras la cloche, tu pourras voir ta nébuleuse et le Passage par lequel on naît.
Et pour finir, il ajoute :
- Pour sonner la cloche, tu n'as pas besoin de venir jusqu'ici. Quand tu en auras besoin, tu sauras comment la trouver.
Puis il disparaît et je découvre que je suis dans la maison de mon quotidien. Je sors et je regarde le mandarinier en fleurs. Le plus exquis des parfums m'accueille.
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