2015/02/12

Marc Dumas et "des carrefours problématiques pour la spiritualité"

Aujourd'hui c'est la première fois que je trouve un texte de Marc Dumas (professeur titulaire de la Faculté de théologie et d’études religieuses de l’Université de Sherbrooke.) grâce à la référence gentiment donnée de la part d'un autre professeur. 

Dans son article, j'écoute un intelligent appel à la théologie de s'ouvrir à la compréhension des nouvelles tendances par rapport à la quête du sens, Je trouve que l'auteur est assez courageux en faisant ce sort d'appel, et je me rejoins de voir comme dans le monde académique il y a des esprits qui sont sensibles par rapport au clamor grandissant de se laisser orienter vers une transformation intérieure qui ne soit pas antagonique avec le meilleur de la science et de la théologie. Au même temps, je vois aussi quelque nostalgie du passé, lorsque la foi en Dieu (et la peur de Dieu) était très forte
. Ici sont pertinents les mots de Silo à la fin de sa conférénce sur la religiosité dans le monde actuel:

 "Bien que la comparaison ne soit pas vraiment légitime, je me permets de vous rappeler un précédent ancien : la Rome Impériale a vu surgir de chez ses voisins toutes sortes de cultes et de superstitions, tandis que la religion officielle perdait de sa force de conviction. L’un de ces groupes insignifiants finit par se transformer en une Église universelle… Aujourd’hui, il est clair que pour avancer, cette religiosité diffuse devra combiner le paysage et le langage de notre époque – un langage de programmation, de technologie et de voyages spatiaux – avec un nouvel évangile social."
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Convencu que l'article de Marc Dumas fait une contribution à la reflexion sur les nouvelles spiritualités, et même si je ne partage plusieurs de ses points de vue, j'ajoute ici quelques extraits de son article  "La spiritualité aujourd’hui. Entre un intensif de l’humain et un intensif de la foi":

..."Depuis pratiquement cinq cents ans et telle que l’a développée finement Charles Taylor dans son ouvrage intitulé L’Âge séculier (Taylor 2011), la sécularisation a transformé, voire inversé notre rapport à Dieu et/ou à la transcendance. D’importants déplacements ont conduit les Occidentaux à recadrer de façon radicale les rapports qu’ils entretenaient avec la religion ; au Québec, ce recadrage s’est effectué à travers et aux dépens de l’institution ecclésiale (Mager et Cantin 2010)1. Cette dernière perd pied face aux principaux enjeux et développements de la société, elle est en crise de transmission de sa riche tradition et n’exerce plus l’influence d’antan, au point où on peut se demander ce qu’il en restera d’ici dix ou quinze ans2. Associés à la sécularisation, les processus de dé-traditionalisation, d’individualisation et de pluralisation affectent considérablement les efforts de recontextualisation de l’Église catholique au Québec.

Ces processus s’inscrivent de plus en plus dans une logique de marché où les traditions religieuses et spirituelles du monde enrichissent le matériau disponible au bricolage religieux et spirituel des contemporains, devenus des hommes et des femmes en recherche de sens. S’ils ont « jeté le bébé avec l’eau du bain », pour reprendre l’expression populaire, il semble toutefois que la recherche spirituelle leur apparaît comme un lieu possible pour répondre à leur quête de sens, pour panser leurs blessures et soigner leur mal-être.
Un deuxième carrefour touche la définition même de la spiritualité qui est, comme je l’ai déjà mentionnée en introduction, un terme complexe et pluriel. Est-elle une discipline académique et scientifique ? un mode alternatif de croissance humaine? un texte spirituel du passé comparable aux Écritures Saintes ? une expérience de Dieu ou de transcendance ? un moment extatique, voire une rencontre mystique ? ou une dynamique de transformation existentielle ou de conversion religieuse ? Alors que des publications théologiques s’intéressent à mieux définir ce qu’est la spiritualité et à évaluer si elle peut, comme connaissance par expérience, trouver sa place à côté des connaissances scientifiques — et ainsi devenir une discipline théologique autonome —, d’autres publications s’intéressent plus au statut du texte spirituel qu’à l’expérience spirituelle proprement dite (Robert 2009). Ce choix en faveur du texte ou d’un horizon discursif favorise une compréhension de la spiritualité inscrite dans un cadre de foi chrétienne ou dans un autre cadre religieux. Le vif de l’expérience vécue est raconté, transcrit, médiatisé ; la Parole se dépose dans la texture d’un texte. Mais il y a de plus en plus de voix, tant en théologie qu’en sciences humaines, qui insistent pour définir et inscrire la spiritualité au coeur de l’être humain (Blommestijn 2010)4. La spiritualité est-elle une initiative de Dieu et/ou une initiative de l’humain ? Dans le premier cas, la spiritualité se présente comme kénose, humilité, silence et disponibilité à Dieu (Un chartreux 2007) ; dans l’autre cas, elle est holistique, thérapeutique, elle est une décision volontaire, un désir de croissance et de réalisation, elle peut être laïque, voire athée (Guibal 2007). Dans l’un et l’autre cas, ces dimensions sont potentiellement inscriptibles dans le processus de marketing, dans la logique de marché ; un spirituel instrumentalisé favorise l’économie de marché : livres, formations de tout acabit, voyages exotiques, etc.(Camus et Poulain 2008)5.
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En élaguant le trop d’images, le trop de mots, le trop d’émotions, la trop grande complaisance pour le monde de la consommation, voire le trop du sens, ne reste-t-il pas une simple béance ou un effroyable abîme sans fond ? Et si le dépouillement laissait place à une expérience radicale du souffle qui accompagne chaque instant de l’existence et à une relation radicale avec le mystère théologal qui échappe à toute emprise ? Et si émergeait un monde où, au coeur des gestes les plus petits, une trace de ce souffle et de ce mystère annonçait la possible transfiguration de soi et du monde ? Les carrefours de la sécularisation, de la compréhension multiple de la spiritualité aujourd’hui et de la compréhension de celle-ci en régime chrétien invitent à faire un pas de plus pour mieux saisir ce qui vient d’être dit.
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Pour le théologien, la spiritualité est une expression « métaphorique » de la rencontre de Dieu ; pour le sociologue, elle est une construction sociale ; pour le psychologue, une part de l’inconscient que l’on peut analyser ou encore une illusion malsaine dont il faut se débarrasser. Elle est pour plusieurs de nos contemporains l’antidote à la chape de plomb des institutions religieuses d’antan et une possibilité de croissance et de réalisation personnelles. Si la spiritualité s’insère dans les dynamiques d’instrumentalisation et de consommation dans certaines sociétés, elle est précisément, dans d’autres communautés, ce qui résiste et ce qui s’inscrit en marge de ces dynamiques.
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Le divorce entre la théologie et la spiritualité a duré plusieurs siècles et on peut affirmer aujourd’hui que les retrouvailles ont bel et bien lieu au bénéfice de tous (Ménard et Villeneuve 1995).
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Mais revenons à ce service conseil, à ce service de traduction ou de recadrage existentiel que les spirituels offraient à leurs contemporains. Est-il encore possible aujourd’hui ? Ces services de traduction ne sont-ils as obsolètes, alléguant que l’offre ne correspond plus à la demande ? Au contraire, n’est-ce pas précisément pour cela, parce qu’ils ne correspondent pas à la demande, que l’offre devrait tenir ? Ces services peuvent-ils exister sous une autre forme, les gens aujourd’hui étant trop souvent préoccupés par eux-mêmes et se risquant de moins en moins sur le chemin de l’Autre ? Les contemporains ressentent bien l’attrait pour les expérimentations dites « spirituelles », mais ces expériences ne peuvent pas être faites ou répétées à volonté. Leurs lectures de textes spirituels marquent bien aussi leur soif de vivre pleinement en intégrant cette dimension dans leur vie, mais comment lire ces textes pour en faire une expérience signifiante ou peut-être une expérience de non-expérience ?
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D’une religion institutionnelle, plusieurs sont passés à une spiritualité plus émotionnelle. Cette dernière est même apparue comme un marqueur identitaire des individus en processus d’individualisation et en recherche d’originalité (Donard 2003, 58). Les parcours contemporains sont fréquemment confus et redondants, ils sont aussi très souvent des quêtes d’outils, de lieux et de maîtres qui pourront avoir des effets pragmatiques, voire thérapeutiques sur la personne. La spiritualité devient pour plusieurs un art de vivre tiré de la pluralité religieuse, spirituelle et culturelle disponible aujourd’hui. Les frontières entre le sacré et le profane sont de plus en plus floues, de sorte qu’un pluralisme interprétatif est possible. La mondialisation des échanges a conduit à un brassage des croyances et d’autres options sont aussi apparues comme possibles dans le paysage religieux (Vallet 2003, 8).
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on ne peut soumettre son continent intérieur à n’importe qui ou à n’importe quoi ; on ne peut non plus simplement s’enfermer dans ce continent intérieur et absolutiser le mouvement intérieur qui peut, encore là, s’avérer un mirage. Le recours à l’expérience intérieure, s’il fut trop longtemps mis de côté, ne devrait pas non plus être absolutisé et isolé.
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L’hypothèse de ce texte est de définir la spiritualité aujourd’hui comme un intensif de l’humain, un intensif inscrit dans un enfoncement intérieur qui procure une joie profonde et donne sens à la vie. Cet intensif s’inscrit aussi dans un accomplissement qui, en passant par le dépouillement de soi,
s’enrichit de la rencontre de l’Autre et des autres. Il me semble que nous vivons actuellement dans un temps d’oscillation entre un intensif de l’humain sans repère de transcendance et un intensif de la foi qui inscrit l’intensif de l’humain dans l’horizon de la foi au mystère théologal. Cette oscillation invite à un discernement critique, non pas pour écarter la recherche et la quête spirituelles contemporaines, mais pour en dénoncer les déviances et les récupérations consuméristes ou idéologiques. Il s’agit de prendre acte de ce déplacement spirituel formidable vécu à l’âge séculier qui relance de manière extraordinaire notre goût de la liberté et notre goût  de la vie. Il reste à voir comment et dans quels lieux les traces du théologal invitent à goûter à son Esprit et à être porté par son Souffle. Cet examen incite les théologiennes et les théologiens à traquer le théologal partout où il se manifeste. Retenons que le propre de l’humain renvoie à un ailleurs et à une dynamique relationnelle, dynamique fondamentale de son propre accomplissement (Donard 2003, 60).

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À propos de ce sujet, voici quelques extraits du livre: "Commentaires au message de Silo":

"Le Message accorde la plus grande importance  à ces thèmes et explique qu’on doit pouvoir disposer du plein droit de croire ou de ne pas croire en l’Immortalité et dans le Sacré car l’orientation de la vie d’une personne sera en fonction de la posture qu’elle assume face à cela.
Le Message assume les difficultés d’examiner ouvertement les croyances fondamentales, heurtant la censure et l’autocensure qui inhibent la pensée libre et la bonne conscience. Dans le contexte de la libre interprétation que favorise le Message, on admet que, pour certaines personnes, l’Immortalité se réfère aux actions réalisées dans la vie et que leurs effets continuent dans le monde physique malgré la mort physique. Pour d’autres, la mémoire conservée par les êtres chers, ou même par des groupes ou des sociétés entières, garantit la perpétuation après la mort physique. Pour d’autres encore, l’Immortalité est acceptée comme perpétuation personnelle à un autre niveau, dans un autre "paysage" d’existence. 
Pour continuer avec la libre interprétation : Certains ressentent le Sacré comme le moteur de l’affection la plus profonde. Pour eux, les enfants ou les autres êtres chers représentent le Sacré et revêtent une valeur maximale qui ne doit être avilie sous aucun prétexte. Il y a ceux qui considèrent l’être humain comme Sacré, ainsi que ses droits universels. D’autres encore expérimentent la divinité comme l’essence du Sacré.
Dans les communautés qui se forment autour du Message, on considère que les différentes postures assumées face à l’Immortalité et au Sacré ne doivent pas être simplement "tolérées" mais véritablement respectées. Le Sacré se manifeste depuis la profondeur de l’être humain, d’où l’importance de l’expérience de la Force, en tant que phénomène extraordinaire que nous pouvons faire surgir dans le monde quotidien. Sans l’expérience, tout est douteux, avec l’expérience de la Force, nous avons des évidences profondes. Nous n’avons pas besoin de la foi pour reconnaître le Sacré. On obtient la Force au cours de certaines cérémonies comme celles de l’Office et de l’Imposition. On peut également percevoir les effets de la Force dans les cérémonies de Bien-être et d’Assistance. 
Le contact avec la Force provoque une accélération et une augmentation de l’énergie psychophysique surtout si des actes cohérents sont réalisés quotidiennement, actes qui par ailleurs créent une unité intérieure orientée vers la naissance spirituelle. "